Les secrets de santé de Pinar Selek
Sociologue très engagée dans son pays aux côtés des minorités, Pinar Selek subit depuis 1998 un véritable harcèlement judiciaire et politique. Elle vit aujourd'hui en exil à Strasbourg.
Sociologue très engagée dans son pays aux côtés des minorités, Pinar Selek subit depuis 1998 un véritable harcèlement judiciaire et politique. Elle vit aujourd’hui en exil à Strasbourg. Choisie malgré elle pour « jouer le premier rôle dans un film de science-fiction dont elle ne connaît ni les producteurs ni le réalisateur », elle conserve l’espoir de sortir de ce cauchemar et 15 ans d’injustice n’ont pas eu raison de son « demi-espoir ». Elle publie un roman, garde un moral d’acier et une solide santé. Nous lui avons demandé ses secrets.
Sophie Lacoste : Est-ce que tu as imaginé la pharmacie de Djemal, dans ton roman, comme celle de ta mère ? Y avait-il des chaises où on pouvait s’asseoir pour discuter, pour boire le thé ?
Pinar Selek : Ma mère était encore plus chouette que Djemal. Bien sûr que les gens venaient boire le thé et ils lui racontaient toute leur vie. Elle était leur confidente, avait une énergie incroyable et ils n’hésitaient pas à lui confier tous leurs problèmes. Comme dans le roman, les gens venaient gratuitement dans sa pharmacie pour se faire prendre la tension, demander un pansement ou se faire faire une piqûre. Quand elle a décidé de devenir pharmacienne, dans les années 1950, il y avait très peu de femmes qui entreprenaient ce type d’études. À l’époque, les femmes étudiaient plutôt la médecine. Ma mère connaissait toutes les plantes médicinales. En voiture, quand j’étais jeune, je me souviens qu’elle se garait dès qu’elle voyait une plante sur un talus au bord de la route. Elle faisait sa cueillette… Notre maison était juste en face de la pharmacie, comme dans le livre.
Sophie Lacoste : Et ça ne t’a pas donné envie de devenir pharmacienne ?
Pinar Selek : Je passais beaucoup de temps dans la pharmacie, j’adorais ça, mais la « chimie » ne m’attirait pas. J’aimais l’autre côté, le versant social de la pharmacie. Du coup, j’ai pris une autre voie.
LE CONTEXTE
Si Pinar Selek a choisi de se destiner à la sociologie, c’est parce qu’elle voulait « analyser les blessures de la société et y chercher des remèdes ». Le coup d’état militaire turc, en 1980 (quand l’Assemblée nationale a été dissoute et les partis politiques interdits) et l’atmosphère de violence qui régnait alors dans son pays ont motivé son engagement contre les injustices et pour la paix. En 1995, Pinar a fondé à Istanbul l’Atelier des Artistes de Rue, un lieu de création et d’échanges entre des personnes marginalisées – sans-logis, enfants des rues, tziganes, prostituées – et des étudiants, des femmes au foyer, une sorte de « Maison du Bosphore » avant l’heure… Parallèlement, elle a entrepris une enquête auprès de membres du PKK, le mouvement kurde, pour tenter de comprendre les mécanismes générateurs de violence. Alors qu’elle avait déjà recueilli de nombreux témoignages en France, en Allemagne et dans le sud-est de la Turquie, elle a été arrêtée et torturée. C’était le 11 juillet 1998. Pendant une semaine, la police a tenté, sous la torture, de lui arracher les noms des personnes qu’elle avait interviewées. Elle a résisté. Elle était en prison depuis un mois quand elle a appris qu’on l’accusait d’avoir perpétré un attentat deux jours avant son incarcération. Une histoire d’explosion dont personne ne l’avait jamais accusée jusque-là et qui tombait à pic pour en faire une terroriste. Un seul témoignage, arraché sous la torture, motivait une telle accusation. Or, très vite, plusieurs expertises ont montré que la tragédie dont on la rendait coupable (qui avait fait sept morts et plus de cent blessés au marché aux épices d’Istanbul) était due à l’explosion accidentelle d’une bouteille de gaz. Elle a ainsi pu être libérée à la fin de l’année 2000. Puis, la justice a suivi son cours et elle a été acquittée à trois reprises : en 2006, en 2008 et en 2011. À chaque fois, la cour de cassation a fait appel du verdict. Or, fin 2012, la cour de justice qui l’avait toujours acquittée a tout à coup fait volte-face. Et le 24 janvier 2013, au terme d’un harcèlement judiciaire de 15 ans, elle a finalement été condamnée à perpétuité contre toute logique et en toute injustice. Ses avocats ont fait appel, mais elle est pour le moment « interdite de séjour » dans son pays qu’elle aime tant, au risque d’être immédiatement arrêtée. Pinar garde malgré tout une énergie incroyable. Et elle continue à lutter pour que la vérité gagne la partie, elle croit à un retour prochain parmi les siens. En attendant, elle nous conduit virtuellement dans les rues d’Istanbul grâce à son roman « La Maison du Bosphore ».
La Maison du Bosphore, Pinar Selek, Editions Liana Levi, 21 €
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