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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

Il était une fée, Mélusine

La femme-serpent, d’hier à aujourd’hui

Fascinante Mélusine. La fée à la queue de serpent est un personnage emblématique de la France médiévale dont la légende a été fixée à la fin du XIVe siècle dans le Poitou. Une exposition lui rend hommage jusqu’au 1er mars à l’Historial de la Vendée. Dépoussiéré, le mythe revit dans toute son actualité. 

Il était une fois Mélusine. La légende telle que nous la connaissons, inspirée par des traditions orales et celtiques, nous vient de la fin du Moyen Âge. Elle a été fixée pour la première fois en prose par Jean d’Arras, autour de 1390, commandée par le Duc de Berry, transposée ensuite en vers par Coudrette à la demande de Guillaume VII, archevêque, seigneur de Parthenay. Ces livres devenus best-sellers à leur époque ont assuré la prospérité de la fée dans l’Europe entière. Jean d’Arras, quant à lui, répondait d’abord à une commande politique et esthétique, dans le contexte de la guerre de Cent Ans, pour asseoir la légitimité d’un duc, grand mécène de l’époque, qui souhaitait affirmer son autorité sur Lusignan et établir pour sa lignée une ascendance merveilleuse. Aujourd’hui, le souvenir de la fée hante le folklore vendéen. Mais le mythe de la femme-serpent révèle surtout des valeurs transmises au fil des siècles sur la conception du féminin, qui questionnent encore les débats contemporains à la fois politiques, spirituels et philosophiques, sur le corps et sur l’écologie. 

Et vous, quelle Mélusine êtes-vous ?

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La faute des maris

Dans la légende racontée par Jean d’Arras, il est dit que Mélusine a été maudite par sa propre mère, la fée Présine, après avoir décidé avec ses sœurs, Mélior et Palestine, de la venger en enfermant leur père Elinas, roi d’Écosse, dans une montagne où il a fini par mourir. L’idée revenait à Mélusine, la plus sévèrement punie par sa mère pourtant victime de son époux mortel et indiscret. 

Car l’histoire se répète dans la famille de Mélusine. Alors qu’Elinas avait promis de ne pas aller voir Présine pendant ses couches (ses règles), il a fini par le faire et Présine s’exila avec ses trois filles. 

Après avoir puni son père, Mélusine fut condamnée à son tour, par sa propre mère, à errer sans repos, jusqu’à trouver un mortel qui saurait l’aimer, qui l’épouserait, mais qui devrait également faire le serment de ne pas chercher à la voir tous les samedis, le jour où ses jambes se transforment en queue de serpent. 

Exilée en Poitou, la belle est accompagnée de deux autres demoiselles quand elle rencontre, dans une forêt près d’une fontaine, le beau Raymondin, neveu du comte de Poitiers, qui vient malencontreusement de tuer son oncle au cours d’une chasse au sanglier.
Raymondin tombe immédiatement amoureux de la fée et accepte le pacte de Mélusine qui, de son côté, l’aide à l’innocenter du meurtre de son oncle. 

Les noces célébrées, la fée fait pousser abbayes et forteresses et donne naissance à dix fils, tous en bonne santé. Chacun porte pourtant une marque de sa surhumanité : l’un est cyclope, l’autre a trois yeux, le troisième a une oreille plus grande que l’autre… tandis que Geoffroy à la Grande Dent, le plus connu d’entre eux, naît avec une défense de sanglier. Rabelais en a d’ailleurs fait l’ancêtre de Pantagruel. 

Tout va bien dans le meilleur des mondes, jusqu’à ce jour où le frère de Raymondin, perfide et jaloux, insinue le doute dans la tête du mari, qui décide d’épier sa femme malgré tout, le samedi, alors qu’elle prend son bain dans la tour qu’elle a elle-même construite pour s’isoler. En voyant la queue de serpent de sa femme, le mari est pris de remords mais choisit de garder le secret, jusqu’au jour où Geoffroy à la Grande Dent s’attaque à un de ses frères en incendiant un monastère. Raymondin, ayant accusé sa femme pour cette catastrophe, lui avoue qu’il a vu sa queue de serpent. Mélusine, en colère, se transforme toute entière en serpent et s’envole par la fenêtre en poussant des cris et en détruisant au passage tout ce qu’elle avait bâti. Néanmoins, la fée continue jusqu’à ce jour à veiller sur sa descendance. Il paraît qu’on l’entend crier chaque fois que la mort s’approche d’un des membres de sa lignée. Dans d’autres versions plus courtes, Raymondin pousse un cri quand il la surprend au bain, et elle s’envole à ce moment-là.

Au pays des merveilles

Le nom de Mélusine signifie « merveille » au Moyen Âge. Dans notre époque rationaliste, le merveilleux est assimilé aux légendes, à ce qui n’existe pas, caricaturé par nos représentations des gnomes et des fées. 

Or, le merveilleux est par définition ce qui dépasse l’entendement humain, l’autre monde, l’inexplicable. Étymologiquement, mirari en latin désigne tout ce qui suscite l’étonnement. La tradition chrétienne viendra ensuite distinguer le magicus, magique qui est le plus souvent diabolique, du miraculus, surnaturel divin. 

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Les origines de la légende de Mélusine sont multiples et l’étymologie du mot reste indéterminée et complexe. Les figures de fées, par exemple, se réfèrent tout autant aux Parques antiques qui tissent les fils de la destinée, qu’aux anciennes traditions celtiques. 

Le pouvoir des femmes

Les manuscrits sur l’histoire de Mélusine connaissent une diffusion extraordinaire dès le XIVe siècle. Ils sont traduits dans plusieurs langues au point que la légende Mélusine intègre d’autres légendes nationales. C’est le cas en Tchéquie, par exemple, et au Luxembourg où elle est même assimilée à la mère des Luxembourg. 

Au XVIe et au XVIIe siècle, si Mélusine est peu à peu mise en retrait par les moralistes, diabolisée par l’Église, elle reste une icône populaire. Elle resurgit portée par le romantisme dès la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle. De Goethe à Gérard de Nerval, en passant par Musset, Zola, et même Jean Lorrain qui, à la fin du siècle, lui consacre des poèmes.

La figure romantique de Mélusine oscille avec ambivalence entre femme fatale et victime mélancolique, tentatrice et sacrifiée, libre et emprisonnée. Elle porte en elle toute la misogynie de cette époque. 

Plus récemment, l’écrivaine féministe Chantal Chawaf, sous son nom de jeune fille Marie de Montluel, imagine sa Mélusine en nouvelle apôtre de l’écologie. Dans Mélusine des détritus (2002), la fée solitaire se révolte dans une France postindustrielle, asphyxiée par la pollution. 

Peut-on reconnaître dans Greta Thunberg, la réincarnation de Mélusine à l’époque contemporaine ?

Mélusine, une exposition pour les enfants à l’Historial de la Vendée

L’Historial de la Vendée présente jusqu’au 1er mars 2020 une exposition intitulée « Mélusine, secrets d’une fée », où plus de 120 œuvres sont présentées : des manuscrits, des bijoux, des gravures, des sculptures, des films et des costumes pour évoquer le mythe de Mélusine, disséquer la figure de la fée serpente et interroger l’héritage et les évolutions de cette star poitevine. Idéale pour les enfants, toute la scénographie a été pensée pour eux, quitte à verser parfois dans le cliché du merveilleux. Un film d’animation très bien fait à partir des enluminures médiévales retrace la légende de Mélusine sur un écran géant à l’entrée, puis l’itinéraire déambule autour de cinq thématiques comme des facettes mélusiennes, tour à tour créature hybride, fée amoureuse, inspiratrice, mère et bâtisseuse. On peut toutefois regretter l’orgie de dispositifs interactifs et audiovisuels et la vitrine qui célèbre l’égérie publicitaire, rapprochant la bien nommée bière locale « la Mélusine » de la sirène symbole du Starbuck, dont on espère que l’enseigne aura financé une partie du dispositif. Dans l’air du temps, les gamins adoreront, les parents pourront néanmoins apprécier la qualité des nombreuses œuvres présentées et faire une pause dans le coin bibliothèque où les livres sont mis à disposition et les manuscrits numérisés. Le catalogue coordonné par Johanna
Pavlevski-Malingre, spécialiste de Mélusine, très complet et lisible sur la complexité du mythe, permet de prolonger encore la visite.

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À lire :
Catalogue,
Sous la direction d’Éric Necker et Karine Vieille
Coordination éditoriale d’Anne Cousseau
Conseillère scientifique Joanna Pavleski-Malingre.
Éditions Silvana
208 pages
22 €.

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