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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

À Châtillon-Coligny, une Recyclerie créative pour arrêter le gâchis

Un modèle inédit qui revitalise la campagne

Si on entend de plus en plus parler des ressourceries ou des recycleries, celles-ci se développent surtout autour des villes. À Châtillon-Coligny, la Recyclerie créative s’est implantée dans le centre-ville d’une bourgade de 2000 habitants située en territoire rural, au beau milieu de la campagne Montargoise. En quatre ans, sa réputation n’est plus à faire dans le paysage local. La bonne nouvelle, c’est que malgré la crise, malgré l’épidémie, les projets y fleurissent encore.

Au sud du Gâtinais, Châtillon-Coligny a le charme des anciens bourgs dont l’architecture témoigne d’un riche passé. Un donjon, des bouts de rempart racontent l’époque de la forteresse, un symbole pour l’histoire protestante, puisque la ville fut notamment le fief de l’amiral Gaspard de Coligny, dont l’assassinat déclencha le massacre de la Saint-Barthélemy, la nuit du 24 août 1572 à Paris. On devine une place autrefois prospère, traversée par le Canal de Briare, un des plus anciens de France, qui relie la Loire à la Seine, construit au XVIIe siècle. Mais les souvenirs d’hier ne suffisent plus à ranimer le présent d’une ville en sommeil, au milieu d’un territoire rural déserté, touché par la crise. Avec les artisans, les savoir-faire disparaissent et même s’il y a toujours des habitants en éveil, quelques commerçants, des artistes, une galerie-atelier, des musées, il y a aussi les jeunes qui partent, une population vieillissante et celle, intermittente, des résidences secondaires. Entretenir les anciens bâtiments exigus du centre-ville coûte cher et le foncier dépérit : le beau décor s’effrite, les commerces ferment et c’est d’abord pour enrayer ce cercle vicieux que la Recyclerie créative est née. 

Ouverte depuis août 2016 toutes les fins de semaine (pendant l’épidémie, elle reste fermée le dimanche), elle s’est installée en plein centre-ville dans les locaux d’un ancien Maximarché, sur une jolie place à deux pas d’une terrasse et de la boulangerie. Un rendez-vous convivial qui concilie l’utile et l’agréable, où tout le monde se retrouve pour des raisons différentes, des gens de tous niveaux sociaux confondus. Car quand certains viennent traquer le nécessaire et la bonne affaire, d’autres flânent, curieux et heureux d’accompagner leurs achats d’un geste solidaire.

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Des stocks à gérer

Le magasin a de l’allure. Les anciens présentoirs de la supérette ont été reconvertis pour disposer les objets classés avec soin et mis en valeur dans le ton de la saison. Des meubles, des bibelots, de la vaisselle, des luminaires, des chaussures pour 2 euros, des jouets et des livres à 1 euro ! Les disques et les DVD ont investi l’étal du boucher et les rayons de livres ont été aménagés dans un coin bibliothèque. Hors période d’épidémie, en vitrine ouverte sur la rue, un espace d’exposition est mis à la disposition d’un artiste, qui produit des œuvres à partir de matériel recyclé. 

Pour l’aider au tri et à la valorisation des objets, son équipe se compose de bénévoles et de deux salariés en CDD de 20 heures. Un jeune agent collecteur vient d’être embauché en CDI. Il sillonne tous les jours les alentours avec le camion pour se rendre dans les déchetteries ou chez les particuliers. La Recyclerie a ainsi conclu des accords avec le Sictom de Gien et de Châteauneuf-sur-Loire, pour avoir accès aux déchetteries des environs. Quant aux débouchés en dehors du magasin, les dons s’organisent avec la Croix-Rouge, la SPA, auprès des associations locales et jusqu’en Afrique où sont envoyés des lots de lunettes de vue et des encyclopédies, par exemple. Jean-François détaille : « La seule chose que nous ne prenons pas, ce sont les vêtements, mais nous prenons certains textiles de maison. Pour faire les masques pendant l’épidémie, nous avons pu fournir le tissu et les élastiques à des couturières. De même, nous donnons tout ce qui est matériel paramédical comme les béquilles, les ceintures pour le dos… Nous prenons aussi tous les livres, car nous avons un débouché pour les recycler – les débrocher requiert en effet des machines spéciales. Nous vendons en moyenne 20 000 livres par an et nous en recyclons entre 15 et 20 tonnes. »

Un projet d’« insensés »

Quatre emplois créés, 90 000 euros de recette par an, qui aurait pu croire il y a encore cinq ans à un tel succès ? À l’origine, les cinq membres cofondateurs de cette recyclerie se sont retrouvés autour de l’association « L’Art en sens », qui s’est créée pour organiser le « Festival des Insensés », dont la première édition a eu lieu en 2013. Jean-Paul Billault, le président de l’association, raconte : « Concrètement, on a imaginé faire un festival parce que nous voulions qu’il se passe quelque chose, pour revitaliser le centre-ville. Une fois réunis autour de la table avec cette idée, chacun pouvait faire sa proposition. Certains voulaient organiser un festival autour du bien-être avec des thérapeutes, d’autres voulaient des concerts, ou encore mettre en avant les produits locaux. Pour réunir tout le monde, nous avons décidé de faire un festival des cinq sens qui parte dans tous les sens ! Le Festival des Insensés était lancé ». 

Il souligne pourtant sa position : « Je suis bien sûr sensibilisé aux problèmes de la planète, mais nous avons toujours veillé à ne pas nous présenter comme des militants écologistes, à éviter même des termes comme “développement durable” finalement très connoté. La neutralité est fondamentale pour ce type de projet car nous avons besoin de tout le monde. Chacun peut avoir ses opinions, l’important c’est de fédérer autour d’une visée commune très simple : “Ne jetons plus dans les bennes, arrêtons le gâchis !”. Tout le monde peut adhérer. » Une démonstration que la meilleure pédagogie de l’écologie passe peut-être d’abord par le bon sens. Jean-François Perard, lui, a travaillé pendant près de 20 ans à côté d’une déchetterie : « Parfois, c’est le contenu de maisons entières qu’on voit partir à la benne et même des magasins qui liquident des stocks neufs. » Au début de l’épidémie de Covid-19, c’est un petit stock de masques FFP2 et chirurgicaux, tout à fait valables, que la Recyclerie a sauvé de la benne et a pu apporter aux soignants quand ils en manquaient dans les premières semaines du confinement, en mars dernier.

Recyclerie et ressourcerie

Vous voulez vous débarrasser mais vous ne voulez pas jeter. Il existe bien sûr la possibilité de donner aux associations telles qu’Emmaüs ou le Secours populaire, par exemple. Depuis près de vingt ans, de nouveaux lieux de collecte, de valorisation et de revente des objets de seconde main ont ouvert. Les « ressourceries » se sont ainsi fédérées autour d’un Réseau national. Elles sont par définition généralistes. On en dénombre 155 sur tout le territoire. Elles se concentrent plutôt vers les villes où le stockage est problématique et les demandes plus fortes. Les recycleries, quant à elles, sont indépendantes et libres de se spécialiser selon leur capacité et les priorités qu’elles mettent en avant.

Un modèle inspirant 

Pas à pas, la Recyclerie s’est renforcée, structurée. Le soutien des gens a conforté son existence. Jean-Paul Billault précise : « Au début, on ne nous a pas forcément pris au sérieux. Nous n’étions pourtant pas de doux utopistes et nous avions toutes les compétences pour monter ce type de projet. Mais le plus important pour nous, c’était d’assurer une viabilité économique. C’est pourquoi nous ne faisons jamais de troc, même si nous pratiquons des petits prix. Notre priorité, c’est de générer des revenus avec la Recyclerie pour payer les salaires, le stockage, le tri, le nettoyage, la valorisation. Ici, l’objectif c’est le recyclage. Ce n’est pas le cas dans la plupart des recycleries qui sont souvent des entreprises d’insertion dont l’objectif prioritaire est de donner du travail. »

*

Rassurée dans ses locaux, l’association peut même voir plus loin. « On a toujours eu beaucoup de projets. Le tout est de savoir par lequel on commence, car chacun demande d’évaluer la faisabilité en termes de budget, de normes et de sécurité. Ce qui est certain, c’est que nous voulons rester une recyclerie créative axée vers le réemploi des objets, à l’inverse d’une ressourcerie, par exemple, qui s’occuperait davantage du traitement des matériaux. La mairie devrait prochainement nous remettre des locaux en état pour créer des ateliers avec les enfants et renforcer l’aspect ludique, artistique et éducatif de notre approche. Puisque nous ne sommes plus contraints d’investir le bâti autour du Maximarché, nous pouvons également de nouveau réfléchir à nous diversifier, à monter des ateliers de peinture, de menuiserie ou de métallurgie. De même, le projet de développer une textilerie est remis au goût du jour. Jusqu’à présent, on se l’était interdit, car ça implique des conditions sanitaires très complexes, avec des machines à laver industrielles et coûteuses. Il existe aussi des filières de recyclage de textile dans les déchetteries comme “La fibre solidaire”, et il n’est pas question d’entrer en concurrence. Mais nous sommes aussi très proches de l’association de couturières présidée par Annie Sébaste qui fait des choses formidables, une forme de haute couture du recyclage. Nous leur avons donné des canevas de grand-mère des années 1970, des tapisseries de faisans sur fond psychédélique, le genre d’objets invendables sauf pour le cadre :  elles les ont transformés en gilets de fête très élégants, aussi beaux que les robes qu’elles cousent avec des cravates. Il faudrait présenter la collection ! » Sous leurs plots de chantier, les membres de cette recyclerie sont sans doute atypiques mais loin d’être fous et leur succès force l’admiration.

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