Voyage au-dessus du ciel

Qui peut dire jusqu’où va le tracé d’un voyage intérieur et qui peut affirmer intéresser le plus grand nombre à l’aventure d’une quête spirituelle ? Cet été, je suis allée à la rencontre d’Alexandra David-Néel, l’exploratrice de l’au-delà du monde, dans son ermitage de Digne-les-Bains, pour parcourir avec vous les grandes routes et les petits chemins de son jardin du ciel.

Née à Paris le 24 octobre 1868 d’un père français et d’une mère d’origine scandinave, Louise Eugénie Alexandrine Marie David laissera très tôt apparaître un caractère d’indépendance hors du commun. Éprise de liberté sans conditions, elle entreprit des escapades dès l’âge de 2 ans où, par la porte de la maison de ses grands-parents restée entrouverte, elle s’enfuit prématurément. Retrouvée et ramenée aussitôt, elle récidive à l’âge de 5 ans pour aller découvrir les mystères du bois de Vincennes, proche de son domicile. Cette fois, ce sont les policiers qui reconduisent chez elle une petite fille récalcitrante, furieuse d’être ainsi détournée de son but et qui fait à ce moment-là le serment que rien ni personne dans le futur ne pourra se mettre en travers de son idéal aventurier. Elle partira, c’est décidé, dès que l’autorité sera levée, dut-elle cultiver pour cela une patience résistant à l’épreuve du temps. Ce qui la conduisit jusqu’à ses 17 ans.
À cette époque, elle partit seule en conquérante et sans un sou en poche en direction de la Suisse. Une fois de plus, sa mère dut venir récupérer, sur les bords du lac Majeur, une jeune fille inconsciente de tous les dangers semés sur la route de la curiosité incontrôlée.

Mais alors que tout le monde pense Alexandra atteinte du virus des voyages compulsifs sans en détenir le sens, la jeune exploratrice en herbe porte un regard silencieux et émerveillé par l’au-delà des horizons entrevus et imaginés. La véritable raison de ses départs continuels repose au coeur d’une recherche philosophique et religieuse entreprise dès l’âge de 6 ans avec la lecture attentive de la Bible. Elle n’aura de cesse d’étudier et de réfléchir les pensées spirituelles et philosophiques dont celle des stoïciens qui influenceront particulièrement son comportement.
C’est ainsi qu’à sa majorité, Alexandra devient membre de la Société théosophique et entreprend de nouvelles études à la Sorbonne et au Collège de France. Elle adopte le musée Guimet à Paris comme le point source de ses recherches, puisant dans sa bibliothèque la force jaillissante d’une vocation à présent clairement révélée.
Peu après s’être enivrée du parfum envoûtant des sociétés secrètes, elle expose à la surface du monde des points de vue libéralistes et anarchiques dans un ouvrage dont le contenu traduit en cinq langues ne fera cependant pas et peu s’en faut, l’approbation de tout le public. La nature hétéroclite de son esprit l’engagea alors à poursuivre des études artistiques qui la conduiront à exceller bientôt sur la scène de nombreux théâtres lyriques. Mais si fouler les planches des opéras du monde lui procure quelques plaisirs, elle abandonnera les plans d’une carrière qu’elle n’aime finalement pas, bien que celle-ci la fasse voyager.

RENCONTRE
Dans le secret de l’esprit d’Alexandra résonne le bruit sourd et profond des trompes tibétaines auquel se mêlent les gongs et les cymbales entendus pour la première fois lors d’un voyage en Inde en 1890. À côté de leurs vibrantes sonorités, celle des bravos du théâtre lui apparaissent tellement dérisoire.
Les voies de l’énergie universelle étant impénétrables, il lui faudra encore attendre le temps d’un passage en Afrique du Nord avant de pouvoir rejoindre les sommets illuminés des himalayas de ses rêves.
Cette étape tunisienne signe la fin de son célibat lorsqu’elle rencontre le très distingué Philippe Néel, ingénieur aux chemins de fer. Nous sommes en 1904, Alexandra a 36 ans. Cette union sera brève, quelques mois à peine auront raison de l’engagement marital que l’âme de la jeune femme éprise de liberté ne saura davantage supporter.
C’est un époux décidément compréhensif et fort conciliant qui propose alors à sa femme un séduisant voyage en Inde. Dans un élan enthousiaste, Alexandra promet à son mari de rentrer à la maison au plus tard dans un an et demi. Elle ne viendra le rejoindre que 14 ans après.`

À lire :
Dix ans avec Alexandra David-Néel, par Marie-Madeleine Peyronnet aux éditions Fondation Alexandra David-Néel.
Correspondance avec son mari, d’Alexandra David-Néel aux éditions Plon.

Renseignements pratiques :
Des visites commentées et guidées de la maison d’Alexandra David-Néel, ont lieu tous les jours de l’année. La visite est passionnante et permet de traverser visuellement les grandes étapes de la vie de l’exploratrice par des photos, des objets et des reconstitutions de lieux qui ont jalonné son parcours. Et vous aurez peut-être la chance, comme moi, d’être guidée par sa dernière secrétaire, Marie-Madeleine Peyronnet, une femme captivante à l’enthousiasme toujours présent.
Adresse : 27, avenue Maréchal-Juin, 04000 Digne-les-Bains – Tél. : 04 92 31 32 38

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• Rebelle-Santé n° 138