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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

Philippe, arracheur de gentiane

C’est un métier d’homme libre. Philippe est gentianaire dans la Chaîne des Dômes, au coeur du Massif Central. Un rude labeur pour extraire des racines dont on ne compte plus les bienfaits.

Cela fait maintenant une douzaine d’années que Philippe Vanoosthuyse exerce le métier peu commun de “gençanaire”, ce qui, en occitan, désigne celui qui récolte la gentiane : la grande gentiane, aussi connue sous le nom de Gentiana lutea. Qu’il ne faut surtout pas confondre avec le redoutable vératre ou ellébore blanc, plante vénéneuse qui lui ressemble !

La gentiane jaune pousse dans nos montagnes, entre 800 et 1 300 m d’altitude ; elle peut atteindre 2 mètres de haut – d’où son surnom de “gratte-ciel végétal”, raconte Philippe. De jolies fleurs d’un jaune éclatant apparaissent (après 10 ou 12 ans d’existence) pendant une quinzaine de jours, début juillet. Mais ce sont surtout ses racines charnues qui peuvent atteindre 1 m de long et peser 5 kilos qui nous intéressent. »

ALORS, COMMENT DEVIENT-ON GENTIANAIRE ?
« Un peu par hasard, à vrai dire ! » se rappelle Philippe, qui a eu son premier contact avec cette confrérie lors d’un travail saisonnier dans un foyer de ski de fond auvergnat. Puis, le hasard a de nouveau mis sur sa route des éleveurs qui suivaient la tradition ancestrale : ils arrachaient la gentiane alors que leur troupeau était à l’estive, ce qui leur procurait un complément de revenus… et de quoi faire un délicieux apéritif!
Petit à petit, en plus de son métier de tondeur, Philippe apprend les gestes du gentianaire. Il se fait fabriquer par un forgeron du Jura une «fourche du diable», l’outil indispensable à l’arrachage des fameuses racines. Vient ensuite le repérage des parcelles où pousse la belle plante jaune, le contact avec les propriétaires, souvent des agriculteurs qui possèdent des estives et sont plutôt contents de voir leurs précieux pâturages débarrassés de ces vivaces boudées par leur troupeau.

SOLITAIRE
Après un accord entre les deux parties, le gentianaire achète sa future récolte au kilo. Et l’arrachage peut démarrer. « Seul, ou en équipe ou en famille, parfois en binôme », précise celui qui préfère travailler en solitaire. Car c’est ce qui lui plaît tant ! S’organiser à son goût, travailler à son rythme, sentiment intense de liberté : ce métier-là est celui d’hommes amoureux de la nature et fortement épris d’indépendance. Et d’une certaine qualité de vie.

L’arrachage est très physique. Planter la fourche dans la terre, s’arc-bouter pour faire levier avec le long manche de l’outil et extraire ces rhizomes tant convoités, voilà le lot quotidien du récolteur de gentiane. «Ensuite, je mets ma récolte de la journée dans un grand sac de jute laissant pénétrer l’air, ce qui évite toute fermentation», explique Philippe qui peut se targuer d’arracher environ 200 kilos par jour. Vient ensuite le nettoyage des racines. Avec un couteau, il faut patiemment et soigneusement retirer le plus de terre possible, couper bourgeons et radicelles.

SÈCHE OU FRAÎCHE
Ensuite, la cargaison de racines est livrée à la coopérative où elle sera séchée en serre pendant environ 3 semaines, puis stockée en attendant la livraison. Les racines sont vendues sèches, l’hiver, pour être utilisées en pharmacopée. « Mais à partir de début septembre, nous arrachons la gentiane qui sera utilisée fraîche en macération, précise le gentianaire-tondeur. Beaucoup de racines sont expédiées en Allemagne ou en Italie pour la fabrication d’apéritifs, de digestifs et d’eau-de-vie. » Il faut dire qu’à cette époque de l’année, la racine est plus sucrée que celle récoltée de mai à août, qui est vraiment amère. Les principes actifs ne sont donc pas les mêmes.

VERTUS
Les innombrables vertus thérapeutiques de la gentiane sont connues et utilisées en médecine traditionnelle chinoise depuis plus de 4 000 ans. En Inde, la médecine ayurvédique préconise l’emploi des racines de la “fée jaune” comme tonique général. Et chez nous, les vertus apéritives, digestives, dépuratives, stomachiques, carminatives, fébrifuges, rafraîchissantes, reconstituantes, toniques, vermifuges, stimulantes (excusez du peu !) de la Gentiana lutea sont aussi reconnues depuis l’Antiquité. D’ailleurs, au Moyen Age, elle devient une véritable panacée. Elle figure en bonne place dans la composition des élixirs de longue vie. De nos jours, on peut aussi la trouver sous forme de gélules conseillées en cas de baisse de tonus psychique, de stress et de surmenage.
Alors, quel avenir pour le «quinquina du pauvre» ? Je laisse le mot de la fin au gentianaire : «Il y a de moins en moins de gentiane jaune à cause du ramassage intensif (1) et de la modernisation de l’agriculture. Heureusement, elle peut être cultivée ! Des essais ont d’ailleurs donné de bons résultats, notamment en Normandie…» Le comble pour une plante connue sous le nom de «l’amère des montagnes», non ?

À VOIR
Les burons de Salers, à 3 km de Salers, sur la route du Puy Mary. Deux anciens burons d’estive, à 900 m. d’altitude, restaurés et aménagés en musée par M. Lallet.
PLUS D’INFOS
Cercle Européen d’Étude de la gentiane jaune et des gentianacées, CP 47 CH-1000 à Lausanne (Suisse) – www. gentiane.info
À LIRE
La Gentiane – L’aventure de la fée jaune, de J-L Clade & Ch. Jollès (Éditions Cabédita). 24 €

(1) Dans les Vosges ou en Savoie, la cueillette est restreinte voire carrément interdite ; dans le Jura, l’arrachage est limité à 200 kg/jour.

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