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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

Les arbres aux racines d’une révolution végétale

Nous les arbres à la Fondation Cartier

Luiz Zerbini - Lago Quadrado - 2010

Dramatique, la déforestation s’accélère avec les conséquences qu’on observe déjà sur le changement climatique. Encore faut-il comprendre comment nous en sommes arrivés là. L'exposition Nous les arbres, à la Fondation Cartier, à Paris, donne la parole aux arbres jusqu’au 10 novembre : une formule inédite qui associe scientifiques et artistes pour faire germer la nouvelle pensée végétale, à l'heure où la forêt amazonienne brûle.

La forêt émerveille et inspire, nourrit et réchauffe. Elle soigne aussi et la sylvothérapie est venue mettre un nom sur ses bienfaits. Sous nos latitudes, à l’automne, c’est le plaisir simple d’une promenade dans les bois pour profiter des couleurs en feu d’artifice, pour s’imprégner de l’odeur de l’humus ou ramasser châtaignes et champignons. Pourtant les arbres sont souvent traités avec indifférence. La forêt donne et les humains cueillent dans ce réservoir de richesses comme s’il était inépuisable, sans se préoccuper de l’équilibre nécessaire à son renouvellement. C’est ignorer, au niveau planétaire, l’influence des forêts pour la régulation du climat. Les arbres ont beaucoup à nous apprendre.

Longtemps considérés du seul point de vue de l’exploitation de bois, ils ont commencé à susciter un nouvel intérêt chez les scientifiques à partir des années 1970, où quelques voix se sont élevées pour les défendre, gagnant peu à peu en autorité avec les découvertes sur la diversité génétique, l’intelligence et la mémoire végétale, c’est-à-dire la capacité des arbres à prendre des décisions en fonction de paramètres très variés révélant des systèmes de communications insoupçonnées. Le philosophe Emanuele Coccia disait : « Il n’y a rien de purement humain, il y a du végétal dans tout ce qui est humain, il y a de l’arbre à l’origine de toute expérience. » De fait, les arbres sont parmi les plus anciens organismes vivants. Si les origines de l’Homme remontent à quelque 300 000 ans, les plus vieilles forêts fossiles datent d’il y a 385 millions d’années. La comparaison force le respect. Pourtant, selon le World Resources Institute, 80 % de la couverture forestière mondiale originelle ont été abattus ou dégradés, essentiellement au cours des trente dernières années, en conséquence directe de l’intensification des échanges à l’échelle de la mondialisation.

Donner la parole aux arbres

À l’entrée de l’exposition Nous les arbres de la Fondation Cartier, une série de capteurs placés sur les arbres permet de visualiser les pulsations qu’ils émettent en réaction à l’environnement sonore et à la pollution du boulevard. Ce dispositif réalisé par le botaniste italien Stefano Mancuso et l’artiste néerlandais Thijs Biersteker transcrit les ondes de la sensibilité végétale.

Une façon de matérialiser le langage et d’entrer en communication directe pour faire entendre la voix des arbres face à l’urgence climatique. Il faut écouter les arbres. C’est l’engagement de Stefano Mancuso, fondateur du Laboratoire international de neurobiologie végétale à Florence, qui est aussi l’auteur de L’intelligence des plantes paru en 2013 et traduit depuis en une vingtaine de langues. Paradoxalement, maintenant que nous connaissons le rôle essentiel joué par les forêts au niveau de la régulation des températures et des précipitations, la déforestation massive n’a jamais été aussi intense. Elle a même atteint des records ces dernières années : avec près de 30 millions d’hectares qui disparaissent par an, c’est l’équivalent d’un territoire boisé grand comme l’Italie. Entre 2000 et 2017, 3,4 millions de km2 ont été défrichés dans le monde, entraînant une réduction de 8,4 % du couvert forestier global.

La situation menace autant les peuples indigènes que la biodiversité, en impactant le climat au niveau planétaire. Toutes les forêts primaires sans exception sont touchées. La Russie, le Brésil, le Canada, les États-Unis, l’Indonésie et la République démocratique du Congo ont la plus grande part de responsabilité dans le défrichement. Ils représentent à eux seuls 83 % des forêts primaires de la planète. En détruisant les puits de carbone que représentent les biomasses des forêts, la déforestation participe à hauteur d’un cinquième aux émissions de gaz à effet de serre. C’est le troisième émetteur après l’approvisionnement énergétique et l’industrie.

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Pour prendre conscience d’un phénomène lié à des mouvements de population sans précédent à l’échelle du globe, le film EXIT, réalisé par le cabinet d’architectes Diller Scofidio + Renfro, en collaboration avec des artistes, des designers et des chercheurs, pose la question : qu’est devenue notre terre natale ? Les graphiques réalisés à partir d’une collecte de données impressionnantes y répondent et mettent en évidence les dynamiques politiques, économiques et environnementales des populations entre 2008 et 2015, en projetant sur des cartes animées la rapidité du phénomène de grignotage de la forêt.

Un atelier de dessin pour les enfants avec Fancis Hallé

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« Je me demande si le rapport premier aux arbres n’est pas d’abord esthétique, avant même d’être scientifique. Quand on rencontre un bel arbre, c’est tout simplement extraordinaire », confie Francis Hallé, un des pionniers de cette nouvelle pensée végétale qui, depuis une soixantaine d’années, a consacré sa vie aux arbres et aux végétaux, en écrivant des livres, en les dessinant dans ses carnets, pour mieux les observer sous tous les angles. Ses carnets rassemblent aujourd’hui plus de 24 000 pages. Le scientifique artiste a même conçu une plateforme qu’il a baptisée « Radeau des cimes », pour surplomber la canopée à l’aide d’un dirigeable, et l’étudier vue du dessus.

À vos agendas : le samedi 12 octobre, Francis
Hallé animera un atelier d’observation et de dessin des arbres pour les enfants dans les jardins de la Fondation Cartier. Une occasion unique de rencontrer ce scientifique artiste de convictions.

Samedi 12 octobre, 15 heures, pour les 7-12 ans, dans le cadre de l’exposition Nous les arbres, à la Fondation Cartier à Paris.

Le temps s’arrête devant le travail de Fabrice Hyber. Cet artiste-semeur a planté quelque 300 000 graines d’arbres dans sa vallée vendéenne. Il conçoit son œuvre comme « un gigantesque rhizome » et procède sur ses toiles en accumulations, hybridations et mutations poétiques en écho aux arborescences des arbres dont il cherche à pénétrer la communication intime.

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En face, un écran projette le film Mon arbre réalisé par Claudine Nougaret et Raymond Depardon pour l’exposition, qui recueille dans toute la France les témoignages de ceux qui côtoient un arbre remarquable au quotidien : un vieux chêne, un platane dans une cour ou sur la place d’un village. Ces riches paroles simples et pleines de sens donnent naturellement envie de prolonger cette discussion méditative dans le jardin de la fondation, le « Theatrum Botanicum » dont le nom rappelle les livres dans lesquels les moines inventoriaient les plantes médicinales et aromatiques au Moyen Âge. Vous y découvrirez quelques espèces, dont un cèdre du Liban, planté par Chateaubriand en 1823. À noter que le jardin s’animera dans la soirée du 15 octobre, grâce à une installation vidéo réalisée par l’artiste Tony Oursler, originaire des États-Unis. Reste, pour tous ceux qui ne pourraient pas se rendre à Paris, le catalogue, dont les textes richement illustrés portent le manifeste de cette exposition engagée, tandis qu’une websérie disponible sur le site de la fondation propose six portraits vidéos d’artistes qui ont participé à l’exposition. De quoi poursuivre ces réflexions salutaires en rêvant d’une révolution végétale pour faire face à la dévastation.

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Exposition Nous les arbres
Fondation Cartier pour l’art contemporain
jusqu’au 10 novembre 2019
261, boulevard Raspail
75014 Paris
www.fondation.cartier.com

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