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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

Marc Dufumier…

... pour une agriculture inspirée de l’agroécologie

L’agroécologie peut être considérée comme une discipline scientifique dont les pratiques agricoles pourraient s’inspirer pour l’équilibre des écosystèmes. Marc Dufumier a passé sa vie à voyager et à étudier les agricultures du monde entier. Président du collectif Commerce Équitable France, aujourd’hui à la retraite, il milite pour développer des systèmes agraires productifs et durables en circuits courts.

À  74 ans, Marc Dufumier est un ardent défenseur du fumier ! Cet agronome devenu agro-écologue, ancien professeur d’Agriculture comparée à AgroParisTech, entend en finir avec l’élevage industriel et la monoculture pour lutter contre le réchauffement climatique, la pollution des sols, des nappes phréatiques et des littoraux, préserver les écosystèmes et la biodiversité. Rencontre avec un scientifique engagé pour une agriculture et une alimentation plus saines.

Vous militez pour l’agroécologie, qu’est-ce que c’est ?

Marc Dufumier : L’agroécologie n’est pas une pratique, avec un cahier des charges, un logo et un label. C’est une discipline scientifique qui essaie de rendre intelligibles le fonctionnement et la complexité des écosystèmes agricoles en étudiant les interactions entre les différents éléments qui les composent. Une science capable d’anticiper les conséquences des pratiques agricoles sur ces écosystèmes. L’objectif est ainsi de permettre aux agriculteurs d’aménager les écosystèmes de façon productive et durable, en veillant à la qualité sanitaire des aliments, en s’engageant à ne pas provoquer de pollution, à maintenir les potentialités productives des écosystèmes et de la biodiversité, à empêcher l’érosion des sols ou la surmortalité des pollinisateurs. Cette approche globale et systémique permet de prendre des décisions conformes conjointement aux intérêts privés des producteurs et à l’intérêt général.

Comment êtes-vous devenu agroécologue ?

C’était en 1968. Je sortais de mes études d’agronomie, une science normative. Formaté par le dogme du Progrès, je débarquais à Madagascar pour promouvoir une variété de riz à paille courte et à haut potentiel de rendement mais gourmande en engrais et sensible à la concurrence des herbes adventices et aux attaques de cicadelles, un redoutable insecte ravageur. Une variété productive, à condition d’utiliser des produits en –cides : herbicides, fongicides, insecticides…  Les femmes malgaches analphabètes m’ont appris que la rizière n’était pas seulement un champ de riz, qu’elle hébergeait aussi des poissons, des canards, des crabes, des escargots, des grenouilles, etc. J’avais tout faux. J’allais tuer leurs sources de protéines alors que le canard lui-même est capable de s’attaquer aux cicadelles ou aux adventices sans manger le riz qui, comme je l’ai compris plus tard, est trop siliceux. Je suis ainsi passé de l’agronome donneur de leçons prônant l’éradication des « mauvaises herbes » ou des prédateurs, à l’agroécologie, cette science multidisciplinaire qui met en perspective les connaissances scientifiques des agroécologues et les savoir-faire empiriques des paysans. La clé de l’agroécologie, c’est d’apprendre à surmonter les incompréhensions culturelles et d’expliquer le pourquoi de pratiques traditionnelles, en commençant par arrêter de penser que les autres sont des idiots. Quand bien même leurs savoirs sont véhiculés par des proverbes ou des formules qui peuvent paraître ésotériques pour les scientifiques.

*

Si elle s’inspire de modèles anciens, en quoi l’agroécologie est-elle une agriculture d’avenir ?

L’agroécologie ne prône pas un retour en arrière, même s’il va falloir quand même récupérer des savoir-faire anciens que nous avons parfois oubliés, ou encore revenir à des variétés anciennes tolérantes à la présence des agents pathogènes, des insectes prédateurs et des herbes concurrentes. L’agriculture de demain résultera d’une symbiose entre la prise en compte de façon concrète de ces savoir-faire anciens et traditionnels, à condition qu’ils restent pertinents aujourd’hui, et de toutes les connaissances de l’agroécologie scientifique dans sa capacité à expliquer le fonctionnement et l’optimisation des écosystèmes agricoles.

Le passage de l’abattis-brûlis à l’agroforesterie en Asie est un bon exemple. Il montre quelles ont été les modalités de la transition d’une agriculture extensive qui pouvait avoir du sens à une époque de très faible densité de population, à une agroforesterie très hautement productive à l’hectare comme au Kerala, un état indien vallonné et à très forte densité démographique, avec 820 habitants/km2. Là-bas, les gens ont su mettre au point un système associant des arbres, des arbustes et des plantes annuelles au ras du sol. L’agriculture d’avenir inspirée par l’agroécologie ne cherche plus à éradiquer les mauvaises herbes, les champignons pathogènes et les insectes ravageurs, mais s’efforcent d’en minorer les ravages, en choisissant des variétés tolérantes et en mettant en place des barrières naturelles à leur prolifération, en jouant sur des associations d’espèces et variétés végétales bien différentes.

Vous avez toujours voulu éradiquer la faim dans le monde. Comment l’agroécologie peut-elle nourrir tout le monde ?

« Mettre fin à la faim ». C’était sans doute le rêve présomptueux d’un ado enthousiaste. J’étais au lycée. À l’époque, l’Inde vivait de terribles famines. Mon prof d’histoire-géo nous avait sensibilisés à ces problématiques de malnutrition en nous demandant de ramener une boîte de lait concentré. Si aujourd’hui je récuse le principe de l’aide alimentaire au nom de la charité, sauf dans les cas d’extrêmes urgences, je reconnais que cette démarche m’a sensibilisé aux problèmes de sécurité alimentaire. Mais je défends des méthodes qui permettraient aux populations concernées de se nourrir par elles-mêmes correctement et durablement, sans pollution immédiate ni préjudice pour les générations futures, en produisant une alimentation saine, localement.

La faim et la malnutrition n’ont rien à voir avec un manque quelconque de nourriture disponible sur le marché mondial. C’est vrai en France comme au Brésil, qui exporte son maïs, son soja, sa viande et ses agrumes, alors même qu’un grand nombre de Brésiliens pauvres ne parviennent pas à les acheter pour eux-mêmes faute d’un pouvoir d’achat suffisant. Pour être compétitifs en Côte d’Ivoire ou au Cameroun, des paysans ont abandonné la culture du manioc, de l’igname ou du sorgho, pour produire du café et du cacao. Pour autant, ils n’arrivent plus à dégager des revenus suffisants pour acheter une nourriture qui n’est plus produite localement. Il faut donc s’attaquer prioritairement à la pauvreté et aux inégalités de revenus. Le « libre » échange au sein du commerce international est une idée erronée. Mettre en concurrence des gens qui repiquent du riz à la main avec des gens qui sèment au semoir rotatif et qui récoltent à la moissonneuse-batteuse, c’est comme mettre en compétition un coureur à pied et un pilote de Formule 1. Les peuples du Sud doivent pouvoir se protéger, avec des droits de douane, de nos excédents subventionnés et vendus à vil prix sur le marché international, pour faire en sorte que les paysanneries soient correctement rémunérées localement.

En France, nous exporterons ainsi moins de produits bas de gamme en libérant des terrains pour semer des légumineuses (lupin, féverole…) en substitution au soja brésilien que les Brésiliens pourraient manger. Quand je parle de souveraineté alimentaire, ce n’est pas dans un esprit nationaliste replié sur des intérêts franchouillards. Au contraire, ce sont toutes les nations du monde qui ont intérêt à ce que leurs paysanneries puissent vivre et travailler dignement au pays et nourrir par elles-mêmes leurs peuples sans être contraintes de migrer dans les bidonvilles avant de rejoindre la Méditerranée ou la frontière mexicano-étasunienne.

Concrètement comment ça fonctionne ?

Face au réchauffement climatique, nous devons économiser au maximum l’énergie fossile. L’agriculture qui s’inspire de l’agroécologie scientifique évitera de promouvoir une agriculture extensive, qui exigerait de toujours plus grandes extensions au détriment de la forêt en Amazonie, au Congo, à Bornéo…  et des dernières réserves naturelles de biodiversité. En revanche, l’agroécologie fait un usage très intensif des ressources naturelles qui ne coûtent rien : l’énergie solaire pour fabriquer l’énergie alimentaire, le carbone du gaz carbonique pour produire le sucre, l’amidon ou les huiles, l’azote de l’air pour nos protéines… Ça signifie une couverture verte maximale et la plus permanente possible des sols dans l’année, grâce à des associations végétales qui se révèlent être de surcroît plus résilientes aux aléas climatiques extrêmes.

Ça veut aussi dire davantage de paysans ?

Oui, c’est une agriculture exigeante en travail, intensive en emplois. Promouvoir en France, où il y a 8 % de chômeurs, une agriculture pourvoyeuse d’emplois ou redynamiser l’agriculture dans les pays où les gens quittent leur terre pour s’entasser dans les bidonvilles n’est pas un mal. C’est pourquoi il faut aider à l’installation de nouveaux agriculteurs qui s’engagent à nourrir les villes durablement, en étant eux-mêmes correctement rémunérés. Cette rémunération peut provenir du prix de vente plus élevé de leurs produits, mais pour rendre ces produits accessibles aux couches modestes, il faut également rémunérer les services environnementaux que ces agriculteurs rendent à la collectivité.

La surface des terres cultivées en bio en France est de 7,5 %, pour 10 % des agriculteurs, ça reste très minoritaire…

L’agriculture biologique est portée par un mouvement spontané des consommateurs, malgré la relative stagnation de leur pouvoir d’achat. La consommation de produits bio connaît une croissance annuelle à deux chiffres depuis 5 à 6 ans, mais l’offre ne parvient pas à répondre à cet accroissement de la demande, si bien que la grande distribution importe de façon croissante des produits bio. Il faut surtout maintenant permettre à toutes les couches de la société de profiter d’une alimentation plus saine, à commencer par les enfants et les adolescents, qu’on doit préserver des perturbateurs endocriniens et des antibiotiques. 

Quels espoirs nourrissez-vous pour demain ?

Je suis techniquement optimiste sur la capacité d’une agriculture inspirée de l’agroécologie à nourrir durablement et correctement l’humanité tout entière, même si politiquement j’ai beaucoup de raisons d’être pessimiste. L’important, c’est de rester mobilisé. En tant que citoyen, même si je trouve que notre démocratie participative a d’énormes défauts, je plaide le plus fréquemment pour le respect des lois, même lorsque je les désapprouve. 

À lire

*L’agroécologie peut nous sauver
Olivier Le Naire et Marc Dufumier,
Éditions Actes Sud,
176 pages,
18,50 €.
Version numérique : 13,99 €. 

Une série d’entretiens dans lesquels Marc Dufumier retrace son parcours, expose sa pensée et fait ses dix propositions pour accompagner la révolution agroécologique de nos systèmes de production. 

*De la Terre à l’assiette
50 questions essentielles sur l’agriculture et l’alimentation
,
Marc Dufumier, Allary éditions,
233 pages,
18,90 €.
Version numérique : 12,99 €.

Des réponses précises et claires à destination de tous les consommateurs pour une alimentation saine et la protection de la planète.

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« Voir un lien entre la pollution de l’air, la biodiversité et la Covid-19 relève du surréalisme, pas de la science », déclarait Luc Ferry dans L’Express du 30 mars 2020, contredisant ce qu’affirme pourtant la soixantaine de scientifiques du monde entier que Marie-Monique Robin a pu interroger pendant le premier confinement. Son livre La Fabrique des pandémies réunit ces entretiens dans une enquête passionnante qui explique comment la déforestation, l’extension des monocultures, l’élevage industriel et la globalisation favorisent l’émergence et la propagation de nouvelles maladies. Non seulement la pandémie de Sars-CoV-2 était prévisible, mais elle en annonce d’autres.

Préparer une agriculture solidaire pour l’avenir

Depuis plus de 10 ans, la coopérative Les Champs des Possibles, créée en 2009 à l’initiative du réseau des AMAP (Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) d’Île-de-France, œuvre pour favoriser l’installation d’activités agricoles et rurales au niveau local, en militant pour le développement de l’agriculture biologique en circuits courts. Elle fédère consommateurs, producteurs, commerçants, artisans, collectivités, et invite à repenser concrètement les schémas agricoles de demain.

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