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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

La Pandémie à l’heure du numérique

Comment analyser le traitement de l’information par son propre cerveau.

Muscler son esprit critique en philosophant reste le meilleur remède pour se prémunir face au flot d’informations qui nous submergent autour de la pandémie de Covid-19. La conscience des biais cognitifs et du fonctionnement de notre cerveau peut ainsi nous aider à mieux analyser ces informations, en identifiant les émotions qu’elles suscitent et les questions auxquelles elles répondent. 

 La crise du nouveau coronavirus nous met face à une situation de danger et d’incertitude qui précipite nos décisions et nos prises de position. 

Comment se retrouver dans la masse de commentaires générés autour du Covid-19 ? Faut-il écouter les médias qui relayent les recommandations officielles et compter jour après jour le nombre des morts qui augmente ? Les drames, l’angoisse et le stress de toutes les populations touchées et confinées s’expriment sur le web. Difficile de s’y retrouver entre les blogs et les réseaux sociaux, alors que le sujet nous oblige à nous improviser scientifique, nous force à aborder peu ou prou des domaines nouveaux comme la virologie, la médecine ou l’épidémiologie.

Les biais cognitifs

Un « biais cognitif » est une notion définie au début des années 1970 qui désigne simplement une tendance automatique du cerveau à traiter une information. Comme un raccourci mental, le biais sert de filtre pour court-circuiter l’analyse et donner une interprétation immédiate et faussée du réel afin d’accélérer la prise de décision. 

Ni bon, ni mauvais, le biais cognitif est un mode opératoire de notre esprit humain, comme nous le constatons en observant les illusions d’optique. Près de 200 biais cognitifs ont été recensés, ils concernent les erreurs de perception, de logique, d’évaluation… Ces mécanismes inconscients font partie du fonctionnement normal de notre cerveau. Ils nous servent dans la vie. Toutefois, si nous y prêtons nous-même peu d’attention, ils n’intéressent pas seulement les psychologues et sont aussi enseignés dans les cours de marketing pour élaborer les stratégies publicitaires ou la communication politique. Exercer son esprit critique, c’est prendre conscience de ces failles dans nos raisonnements, avant d’affirmer catégoriquement une opinion.

Il existe par exemple un « biais rétrospectif », qui nous fait considérer une situation passée comme devant nécessairement se produire. Mais qui pourra prévoir quelles seront toutes les conséquences liées au coronavirus ? 

Les fake news

Aujourd’hui, c’est le 23 avril, lors d’une conférence de presse quotidienne, le président des États-Unis propose de soigner du Covid-19 en injectant du désinfectant dans les poumons des malades ou encore de les exposer aux UV. Des pistes, selon lui, à creuser. À la tête de la plus grande puissance mondiale, Donald Trump atteint des sommets d’irresponsabilité, il est le roi des « fake news ». Cet anglicisme s’est imposé avec la révolution internet, qui, en dix ans, a produit plus de données que l’imprimerie en plus de 500 ans. Mais en réalité « la fausse nouvelle » a toujours existé, qu’elle soit rumeur ou propagande quand elle sert des intérêts politiques et commerciaux, ou bien qu’elle témoigne de l’expression inconsciente d’un préjugé. Car dans la « fake news », c’est le raisonnement qui est faux, et il n’existe pas forcément de solution ou de « vérité » à opposer de manière indiscutable contre une conclusion. 

*

Avoir en tête ces différents biais cognitifs peut servir à filtrer les informations et à fonder son jugement critique en prenant conscience de cette zone d’incertitude, afin de mieux comprendre les différents partis pris et de mieux écouter les autres.

Quoi dans mon assiette ?

Un blog pour apprendre à décrypter les études scientifiques

Thibault Fiolet a 26 ans. Ce jeune chercheur double diplômé de l’école d’ingénieurs AgroParisTech et de l’Université Paris-Sud prépare actuellement une thèse en santé publique sur les POP, les « Polluants Organiques Persistants » définis lors de la Convention de Stockholm en 2001. Il travaille notamment sur l’évaluation de leur présence dans la chaîne des denrées alimentaires et sur les risques de mortalité et de cancer. 

Parallèlement, il anime depuis 2016, le blog « Quoi dans mon assiette », où il écrit des articles et réalise des vidéos sur l’alimentation, la santé, l’environnement ou l’agriculture, en s’appuyant toujours sur le décryptage des études scientifiques récentes. 

Avec l’arrivée du Coronavirus, il a publié « Un kit de survie », une synthèse très bien faite, basée sur les différentes études parues dans le monde entier depuis le début de l’épidémie. Une somme d’informations saluée par d’autres chercheurs qui s’en servent comme d’une bibliographie, mais aussi une mine très accessible au grand public.

Rebelle-Santé : En quoi vous êtes-vous senti légitime pour entreprendre cette synthèse sur le SRAS-CoV-2 ?

Thibault Fiolet : De par ma formation, je suis spécialisé en nutrition, évaluation de risques sanitaires et épidémiologie. Il me paraît important d’expliquer quelles sont les différentes techniques pour modéliser les épidémies, afin de réaliser que les facteurs à étudier ne se résument pas à compter le nombre de cas et de décès chaque jour. Sur le Covid-19 comme sur d’autres sujets, je centralise concrètement les connaissances scientifiques dont on dispose pour proposer des synthèses de connaissances. Quand j’ai ouvert mon blog en 2016, c’était en réaction à ce que je pouvais lire à droite à gauche sur internet, c’est-à-dire tout et n’importe quoi. L’alimentation et la santé nous concernent tous et tout le monde a évidemment son avis sur la question. Mais dans la cacophonie du web, il est parfois difficile de faire la part des choses entre les témoignages et les croyances personnelles qu’on généralise, et ce qui est réellement prouvé scientifiquement. Sur mon blog, je me focalise sur l’approche scientifique en fournissant toutes les sources de mes informations. C’est pourquoi, dans tous les articles que je publie, je mets les liens vers les publications scientifiques originales ou vers les rapports de l’ANSES (l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). Il est fondamental que le lecteur puisse toujours avoir accès à cette information première. La plupart des blogs et même la presse généraliste parlent trop souvent d’études scientifiques sans indiquer d’où elles sortent, dans quelles conditions elles ont été réalisées et leurs limites. Or, scientifiquement, toutes les études ne se valent pas. 

Votre première synthèse sur le Covid-19 date du 19 mars. Elle a depuis été mise à jour. C’est un travail impressionnant, comment avez-vous procédé pour traiter l’afflux continu d’informations ?

On est tous impactés par la pandémie. Des équipes de chercheurs du monde entier travaillent sur le sujet en même temps. En quatre mois, près de 5000 publications scientifiques sont déjà sorties. C’est énorme ! Je n’ai jamais vu ça : un phénomène nouveau. C’est intellectuellement très stimulant de voir des équipes, qui d’ordinaire ont plutôt tendance à protéger leur travail, partager les données ou encore des programmes pour faire de la modélisation. Plusieurs revues scientifiques ont mis en ligne gratuitement les publications sur le Coronavirus. 

De mon côté, en proposant une approche synthétique, je voulais guider le public à travers la masse d’infos, clarifier l’état des connaissances scientifiques au fur et à mesure. C’est pourquoi j’ai opté pour une présentation en PowerPoint, sous la forme de fiches de questions/réponses, à partir des publications que j’ai pour la plupart traduites en français, avec évidemment toujours les liens vers les publications que je cite. 

Qu’est-ce qui détermine la fiabilité d’une étude scientifique ? 

En premier lieu, le niveau de preuves. Plus une étude a de biais, de manque de mesures, ou d’éléments non justifiés, moins on peut y croire. Prendre en compte les limites d’une étude et montrer comment ça a été fait permet d’évaluer tous ces biais. Il y a ainsi différents types d’études, qui n’apportent pas le même niveau de preuves. Il faut aussi se méfier quand on transpose ou qu’on extrapole les résultats d’une étude : établir qu’une molécule fonctionne en laboratoire ne signifie pas qu’elle fonctionnera chez l’humain, de même pour ce qu’on observe chez les animaux. Sur mon blog, j’invite le plus possible à prendre du recul sur certains résultats, j’essaye d’aborder des sujets controversés ou politisés avec une approche plus scientifique, un ton plus calme, où la question n’est pas d’être pour ou contre, mais de rendre compte de ce que les résultats des études disent, ce qu’on peut en interpréter mais aussi ce qu’on ne peut pas en conclure.

*

Que pensez-vous du traitement médiatique de l’information scientifique avec la crise sanitaire ? 

Il y a forcément différents niveaux de traitement, mais la plupart des médias qui cherchent à faire de l’audience diffusent des informations scientifiques déformées ou parcellaires. Ce parti pris sensationnaliste est amplifié avec les réseaux sociaux, où l’information est vite transformée en rumeur. Il est indispensable de prendre du recul pour faire face à toute la masse d’information disponible, en se posant des questions : 

Quelle est la source de cette information ? Quelle est sa fiabilité ? Est-ce qu’il y a un conflit d’intérêts ? Est-ce que l’article cherche à me faire éprouver une émotion, de la colère ou de la surprise ? En réalité, la plupart des gens s’informent désormais sur les réseaux sociaux, ou tapent des mots-clés dans Google. À côté, les chercheurs ne communiquent pas suffisamment sur leurs travaux à destination du grand public. Sur les sites institutionnels de Santé publique France, l’ANSES ou encore la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), on trouve des articles assez clairs, mais comme peu de gens connaissent ces organismes, qui ne sont pas non plus sur les réseaux, personne ne va sur leurs sites, excepté les gens qui travaillent dans l’agro-alimentaire. J’ai travaillé deux ans au ministère de la santé belge (Service Public Fédéral Santé) sur la politique de sécurité alimentaire en Belgique et au sein de l’Union Européenne. J’y ai étudié les additifs alimentaires et les contaminants environnementaux qu’on peut retrouver sous forme de résidus dans les aliments. C’était passionnant mais on ne communiquait pas assez. 

Sentez-vous une défiance vis-à-vis des chercheurs ?

C’est certain. Malheureusement, on assimile la recherche publique au gouvernement, or il est nécessaire de distinguer l’évaluation des risques qui appartient aux scientifiques de la gestion qui revient aux politiques. Les politiques s’appuient ensuite sur ces expertises pour prendre des décisions qui prennent en compte d’autres facteurs conjoncturels socio-économiques ou culturels. Dans les faits, il existe un dialogue permanent entre les scientifiques et la politique, de même qu’il y a du lobbying. La méthodologie, qui prévoit cette séparation entre l’expertise scientifique et politique, oblige à la déclaration de conflits d’intérêts, ce qui devrait garantir en principe l’indépendance des scientifiques qui font ces études, à partir desquelles ils proposent des mesures de réglementation. Mais toutes les recommandations des scientifiques ne sont pas non plus toujours suivies par les politiques. 

Qu’est-ce qui permet d’établir une connaissance scientifique ?

Les connaissances scientifiques ne sont pas figées, elles évoluent au cours du temps en fonction de la recherche et des nouvelles découvertes. Une seule étude ne démontre pas forcément quelque chose, c’est plutôt un faisceau de preuves qui permettra de conclure sur une hypothèse. Je crois que les meilleures expertises sont collectives, car l’expertise doit prendre en compte l’ensemble des publications sur un sujet, confronter les points de vue divergents, et analyser les différents biais et limites méthodologiques. C’est le propre de la démarche scientifique. 

Comment vulgariser les débats d’experts ?

C’est le plus difficile. J’essaye le plus possible de me mettre à la place de quelqu’un qui n’a aucune notion scientifique, en faisant des détours vers les fondamentaux, comme la composition de l’atome pour montrer l’action des antioxydants sur les cellules. Ensuite, les schémas et les images sont les meilleurs outils de vulgarisation, de même qu’ils servent à manipuler facilement l’opinion. Ainsi, j’ai également écrit un article sur le pouvoir de ces représentations visuelles des données et les manières de lire les graphismes. Tout cela fait partie de ma démarche de décryptage. J’espère accompagner le développement de l’esprit critique de mes lecteurs. Depuis le début de l’année, j’ai commencé des vidéos, en format court, qui m’obligent à synthétiser encore davantage. Je fais des petits topos de 4 à 10 minutes, sur des sujets précis autour de l’alimentation ou en écho des débats de l’actualité. Je suis convaincu de la nécessité d’offrir aux gens les clés pour comprendre les études scientifiques et les débats d’experts.

Quoi dans mon assiette ?

https://quoidansmonassiette.fr 
Le blog de Thibault Fiolet est complètement bénévole. 

N’hésitez pas à le consulter et à le soutenir à travers Tipeee. https://fr.tipeee.com/quoidansmonassiette

Pour en savoir plus sur les biais cognitifs :

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Système 1 / Système 2
Les deux vitesses de la pensée (Thinking, Fast and Slow)
Daniel Kahneman
2012
Éditions Flammarion
560 pages
24,99 €
Version numérique 14,99 €

Dans cet ouvrage de référence, le prix Nobel d’Économie Daniel Kahneman (2002) offre une synthèse de sa carrière et notamment toutes ses recherches avec Amos Tversky sur les biais cognitifs. 

*

Pour les ados : 

Crédulité & Rumeurs
Gérald Bronner et Jean-Paul Krassinsky
Le Lombard
72 pages
10 €
Version numérique 4,99 €.

À la manière d’un Que sais-je en BD, le sociologue Gérald Bronner et le dessinateur Jean-Paul Krassinsky projettent les questionnements sur les biais cognitifs dans le cerveau d’un ado.

 

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