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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

Les sympathisants

Les sympathisants épisode 1 - Rebelle Santé 245

"Je partage votre chagrin" / "Je comprends ce que tu ressens" / "J'ai mal pour lui"

SYMPATHIE n. f. gr. sumpatheia "participation à la souffrance d’autrui"
LITTÉR. Participation à la douleur d’autrui, fait de ressentir tout ce qui le touche. 
(LAROUSSE)

 

Chapitre 1 – “Divine est l’oeuvre de soulager la douleur” (Hippocrate)

Les façades gris foncé des maisons de la rue du Vieux Moulin ne connaissent pas beaucoup le soleil, trop souvent caché derrière les hauts toits. Mais aujourd’hui, au-dessus de ces toits, le ciel est très bleu, avec juste quelques petits nuages, et les étages des maisons profitent de la lumière. La rue est déserte en cette fin d’après-midi. Les gens sont sans doute partis se baigner au lac car cela fait longtemps que l’on n’a pas eu un dimanche aussi agréable.

Soudain, de l’impasse des Tanneurs, une petite fille déboule, en patins à roulettes. Elle a trop d’élan pour amorcer son virage, le trottoir est trop étroit, et l’inévitable se produit. La voilà une jambe sur le trottoir, l’autre dans le caniveau, les fesses par terre. Elle laisse d’abord échapper un juron inattendu pour son âge (six ans, tout au plus). Mais voilà que son genou droit saigne, et qu’elle s’aperçoit que sa jambe gauche (celle du caniveau) est éraflée du genou jusqu’à la cheville.

– Ça te fait mal ?

– Ouiii !

La grande soeur qui suivait, elle aussi en patins à roulettes, pourrait ramener la petite à la maison, la maman nettoierait alors les plaies avec une solution antiseptique qui ne pique pas, puis elle pourrait même appliquer un pansement sur le genou.

La grande soeur aime beaucoup la petite. Elle va la ramener à la maison. Mais auparavant, elle va partager un peu le mal.

***

Non loin de là, c’est un quartier résidentiel, implanté dans une commune périurbaine où tout est calme le week-end, et très calme la semaine.

Une Seat rouge vient de se garer dans l’allée, devant le garage de la maison numéro 8. Une dame d’environ soixante ans en descend. Elle est assez corpulente, et d’apparence plutôt ordinaire pour une personne de son âge, puisqu’elle porte des lunettes et que ses cheveux sont courts et frisés. En souriant comme si elle pensait à quelque chose d’amusant, cette dame ouvre le coffre de sa voiture et en sort une grande lampe poussiéreuse, avec un abat-jour carré jaune pâle. Elle laisse la voiture devant la maison et entre par le garage.

À peine a-t-elle refermé la porte que deux petites filles arrivent, se tenant par la main. La plus grande, portant à la main une paire de rollers, marche tant bien que mal avec ses propres rollers. La petite, en chaussettes, pleure un peu.

Elles s’arrêtent devant la porte du numéro 10.

– Maman ! crie la plus grande en entrant.

Puis le garage du numéro 8 s’ouvre à nouveau, et la dame un peu forte réapparaît. Elle tient à la main une paire de ciseaux. Elle se dirige vers une plate-bande, devant la maison, et coupe le seul arum qui se trouvait là. Puis elle rentre dans le garage pour ranger les ciseaux, et en ressort aussitôt en tirant la porte, la fleur toujours à la main. Elle remonte dans la Seat, pose sa fleur devant elle sur le tableau de bord, et repart.

Elle s’appelle Denise et elle va au cimetière pour rendre visite à sa mère.

Le cimetière est un endroit où le temps s’est arrêté à des dates diverses, qui sont gravées là, dans le marbre, tandis qu’au-delà de ce mur de vieilles pierres, le monde des vivants suit son cours.

Les graviers de l’allée crissent sous les pas de Denise.

Elle est restée plus longtemps que d’habitude car elle a nettoyé deux sépultures abandonnées, qui étaient couvertes de toiles d’araignées et de feuilles mortes. Denise aime s’occuper des autres. Elle n’aime pas qu’on abandonne les gens, même si elle ne les connaît pas, même s’ils sont morts, ce n’est pas une raison.

Denise s’attriste de voir, devant de nombreuses concessions abandonnées, des panonceaux de la mairie indiquant qu’elles font l’objet d’une procédure de reprise. Plus personne ne pense à ces gens, se dit-elle en regagnant le monde des vivants.

Elle est sortie du cimetière et se dirige vers la Seat. Il fait encore beau.

Une dame qui promène son petit caniche l’interpelle :

– Ah, bonjour, madame Legendre, vous allez bien ? 

C’est Michelle Darras, la mère de Véronique.

– Bonjour madame Darras ! Oui, je vais très bien, merci ! 

Michelle a un regard vers la grille du cimetière.

– Vous êtes venue voir… votre maman, dit-elle en baissant la voix, car il faut faire preuve de discrétion quand on s’adresse à quelqu’un qui a perdu un parent depuis moins d’un an.

– Oui. Seule la bouche de Denise esquisse un sourire. Ses yeux restent tristes. Ça va faire un an bientôt.

– Oui, bientôt un an. Michelle affiche le même sourire triste. C’était un bel enterrement… Oui, un bel enterrement. Tout le monde l’aimait beaucoup votre maman. Elle est partie sans souffrir.

Denise reste pensive un instant, les yeux perdus vers le cimetière. Puis, se reprenant :

– Mais, et vous, madame Darras, comment allez-vous ?

En son for intérieur, Denise pense que Michelle Darras va mieux car depuis l’hiver dernier elle ne l’a plus appelée à son secours.

– Ça va, ça va, répond la dame. Toujours des migraines… Ma fille ne vient plus…

– Mais elle me parle souvent de vous, vous savez. Et en bien, assure candidement Denise qui aime voir régner l’harmonie dans les familles. Et elle ajoute : Vous savez que j’ai du temps maintenant, si vous avez besoin…

– Oh, je ne veux pas vous embêter…

Denise insiste gentiment :

– Mais pas du tout, ça me fait plaisir.

Michelle, mise en confiance, prend son air de martyre :

– Ça me prend… n’importe quand.

– Vous m’appelez, j’ai la voiture.

– Vous êtes bien gentille. Je vous appellerai si j’ai besoin.

– Il faut que j’y aille maintenant. À bientôt madame Darras !

– Au revoir madame Legendre. Portez-vous bien ! Viens Daisy, on rentre à la maison, dit Michelle Darras en entraînant la petite chienne frétillante.

Denise remonte dans sa voiture. Elle a déjà assisté aux migraines de Michelle Darras et elle sait qu’il s’agit de douleurs supportables. Néanmoins, lorsqu’elle rend visite à la migraineuse, sa grosse silhouette rassurante et son visage radieux plein de gentillesse réconfortent la malade, avant même que la Sympathie n’ait commencé.

***

Installés depuis tôt ce matin de chaque côté du grand boulevard, les exposants commencent maintenant à remballer leurs stands.

Alain sourit car il est très content de sa journée. Il ne s’est pas trop ennuyé, ses voisins étaient plutôt agréables, ils lui ont offert l’apéritif, et lui a partagé avec eux son Chinon. Mais surtout, il a bien vendu. Quelqu’un a payé quinze euros pour le vieux seau de chambre en émail. Même l’affreuse lampe carrée est partie.

Maintenant, Alain ne sait plus où ranger les draps de lin car il a aussi vendu la valise en carton pour un bon prix. Il pose les draps sur une caisse et range dans son Express la planche, les deux tréteaux et la table de tapissier. Encore deux ou trois caisses et c’est fini.

À cinquante ans, Alain a bénéficié d’une retraite anticipée à la suite d’un accident de voiture. Il était représentant en matériel de couture et de confection pour les professionnels. Il a gardé de son ancien métier un solide sens commercial très utile lors de son nouveau passe-temps : les vide-greniers.

Il y a cinq ans, son ex-chère et tendre est partie vivre aux Antilles avec un homme plus beau et plus riche que lui. Après le divorce, il a déménagé pour un logement plus petit, et il a bien fallu vider la grande maison ; vingt-six ans de vie commune, deux grands enfants, cela fait beaucoup d’objets qui s’accumulent.

C’est ainsi qu’Alain a fait son premier vide-grenier. Cette activité lui a plu et, de temps en temps, seul ou avec des amis, il déballe de vieux trésors qui peuvent toujours resservir à d’autres.

Alain est drôle, toujours joyeux, toujours de bonne humeur, par conséquent, il a beaucoup d’amis.

Comme ses amis savent à quoi Alain occupe certains de ses dimanches, ils lui cèdent parfois, à l’occasion de déménagements ou de nettoyages de printemps, des antiquités à vendre. Son commerce amateur est, ma foi, plutôt florissant.

– Au revoir, à une prochaine ! disent ses voisins.

– À une prochaine ! répond Alain. Il pose les draps de lin sur le siège passager et démarre.

***

Chez Denise et Roland, c’est un peu bruyant ce soir : le volume sonore du journal télévisé est trop élevé. Après, il y aura un match de football et Roland aime regarder le football.

Denise ne regarde pas la télévision avec Roland. Elle est dans le garage avec sa nouvelle lampe carrée. Elle essaie de dépoussiérer l’abat-jour avec un mini-aspirateur à piles mais cela ne marche pas très bien. Elle emporte alors sa lampe dans la cuisine et la nettoie en utilisant un chiffon humide. Cette fois, cela semble être plus efficace.

Après s’être acquittée de cette tâche délicate, elle cherche des yeux un endroit où poser sa lampe. La voilà qui entre dans le salon où son mari, affalé dans son fauteuil, lui jette un regard morne. Denise pose la lampe sur la table basse.

Elle veut brancher le fil mais il est trop court. Elle pose la lampe par terre, la branche et appuie sur l’interrupteur. L’ampoule fonctionne. Ah, le vendeur est honnête, ça fait plaisir !

– C’est quoi, ça ? demande Roland, troublé de voir entrer un objet nouveau dans son univers familier.

Denise sourit :

– Tu as vu, je l’ai achetée pour pas cher à la brocante. C’est une lampe des années soixante. Elle est belle, hein !

– Mouais… Roland tourne la tête, son regard irrésistiblement attiré vers le petit écran. Décidément, quitter cet écran des yeux durant plus de quelques secondes lui devient difficile, pense Denise.

Elle ne sait plus pourquoi, il y a trente-quatre ans maintenant, elle a épousé cet homme, en ce moment affalé devant son téléviseur. Mais cela n’a pas beaucoup d’importance.

Denise ne se trouve pas vraiment intelligente, pas vraiment cultivée. Mais elle est très généreuse et sympathise volontiers avec les gens qui souffrent, car, pour sympathiser, il faut nécessairement aimer les gens. Et Denise est dotée d’un grand cœur et de beaucoup d’amour pour les autres.

Elle n’a pas besoin de beaucoup de choses pour être heureuse. Elle trouve jolie sa maison et l’astique tous les jours soigneusement. Elle tond la pelouse et entretient amoureusement les fleurs dans les plates-bandes du petit jardin. Elle n’est pas compliquée et s’entend bien avec tout le monde.

Elle fait du canevas, elle les choisit toujours avec soin car elle s’en sert pour décorer l’escalier et la chambre d’amis. Elle confectionne aussi beaucoup de napperons au crochet. Dans la maison, il y en a un sous chaque vase, sous chaque bibelot, et sur chaque meuble. Elle tricote aussi, pour elle, pour les petits-enfants qu’elle ne voit plus beaucoup depuis que son fils s’est installé à Marseille. Pour les petites voisines qui sont si mignonnes, pour les bébés qui naissent chez les gens qu’elle connaît.

Denise aime aussi aller rendre visite à des amies, qui savent qu’elles peuvent compter sur elle quand elles ne vont pas bien. Plusieurs fois par semaine, elle va prendre un thé chez une amie et échanger avec elle les derniers potins.

Et surtout, tous les mardis, c’est le yoga. Cela fait un an et demi que Denise a commencé ; c’est son amie Jeanne qui lui a parlé de son cours de yoga. Denise est allée à une séance pour essayer, et cela a été une révélation. Maintenant, il serait hors de question de manquer une séance. Comment faisait-elle avant le yoga ? Denise ne sait pas.

Pour l’instant, elle pense avoir trouvé une place pour la grande lampe. Jusqu’à présent, il n’y avait rien dans cet angle, entre le fauteuil de Roland et le canapé. La lampe est assez haute pour pouvoir être posée par terre. En plus, ça fait jeune.

Roland grogne car elle repasse devant lui.

Il peut bougonner, il ne sera pas à l’origine des prochains bouleversements dans la vie de sa femme. Ce n’est pas non plus lui qui changera le sort de l’humanité.

À suivre…

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