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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

“Les abeilles” en BD

Pour comprendre pourquoi elles sont en danger

L'année 2016 a été une année catastrophique pour les apiculteurs français. Alors que plus d’un tiers de notre alimentation dépend des abeilles, véritables ambassadrices de la biodiversité et pollinisatrices indispensables, celles-ci disparaissent, menacées de toutes parts par le dérèglement climatique et l’empiétement des humains et de l’agriculture sur leur milieu.

Yves Le Conte est chercheur à l’INRA-Avignon, directeur de l’Unité de recherche Abeilles et Environnement. Pour mieux faire connaître les abeilles et les dangers qui pèsent sur elles, il publie, avec le dessinateur Jean Solé, une bande dessinée éducative dans l’excellente collection la Petite Bédéthèque des Savoirs des éditions du Lombard. Rencontre.

Comment vous êtes-vous intéressé aux abeilles ?
J’ai été élevé à la campagne dans la Sarthe et j’ai toujours été fasciné par les insectes et les petites bêtes. Quand un apiculteur est venu dans ma classe au collège nous faire un exposé sur les abeilles, j’ai attrapé le virus. J’ai ensuite déniché une ruche dans le grenier de ma grand-mère, sans que je sache comment elle avait atterri là. Je me rappelle simplement qu’il y avait à l’intérieur des cadres cirés et j’ai tout de suite adoré cette odeur, si bien que j’ai tanné ma mère pour récupérer un essaim et l’installer à l’intérieur de cette ruche. On a négocié : si je travaillais bien à l’école, elle m’achèterait cet essaim. Un voisin qui avait des abeilles lui a vendu une colonie et c’est comme ça que j’ai eu ma première ruche. J’avais douze ans. Au début, je n’y connaissais rien, j’osais à peine l’ouvrir sans matériel, puis, peu à peu, j’ai pris confiance en bricolant comme je pouvais les premières années. Malgré les angoisses de ma mère, c’était pour moi le début d’une belle histoire. Ma passion pour les abeilles ne m’a jamais quitté à tel point qu’aujourd’hui, je n’ai aucune envie de partir en retraite !

Pourquoi écrire une BD sur les abeilles ?
À vrai dire, je ne connais pas grand-chose à la bande dessinée. Lorsque les éditions du Lombard m’ont contacté pour faire cet album pour la Petite Bédéthèque des Savoirs, je me suis simplement laissé convaincre car ce sont des gens charmants, intelligents et cultivés. Ils m’ont envoyé un exemplaire de l’album sur les requins qu’ils avaient déjà réalisé dans la même veine et je l’ai trouvé sérieux et très bien fait. Il s’agit à chaque fois d’associer un scientifique ou un spécialiste d’un domaine avec un dessinateur de BD. Séduit par cette approche, lorsqu’on m’a proposé de faire un album sur les abeilles avec Jean Solé, j’ai accepté. Pendant quinze ans, j’avais, pour financer ma thèse, enseigné de la Sixième au BTS. C’est notre rôle aussi à L’INRA de partager nos connaissances.
Le courant est vite passé avec Jean, lui-même apiculteur amateur. Même si je ne connaissais pas du tout son travail et qu’il s’agit de deux mondes très différents, j’ai beaucoup aimé cette aventure. Au début, j’ai trouvé le style assez surprenant. Il y a une fantaisie qui nous manque en science. Le résultat final est très réussi.

C’est en effet un ouvrage très complet, composé en deux parties : une première rappelle ce que sont les abeilles, tandis que la deuxième insiste sur l’objectif principal de ce livre «d’alerter sur le péril qui pèse sur les abeilles».
Nous ne pouvons pas prendre conscience des dangers qui menacent les abeilles sans les connaître et comprendre leur rôle dans l’environnement. Les deux parties sont donc complémentaires. De même qu’il est important d’insister sur le fait qu’il existe près de 20 000 espèces d’abeilles en plus de l’abeille domestique, l’Apis mellifera européenne, productrice de miel qu’on trouve dans nos ruches. La plupart de ces abeilles sont sauvages, elles peuvent être solitaires ou sociales comme les bourdons. Toutes jouent un rôle dans leurs écosystèmes tout aussi fondamental pour la biodiversité que l’abeille domestique dans la pollinisation. À l’origine de ce qu’on mange, certains experts avaient chiffré en convertissant en milliards de dollars ce que rapporte la pollinisation pour la production agricole. Sans ces pollinisateurs, on ferait disparaître un certain nombre de cultures de nos étals de fruits et légumes, comme les cucurbitacées, mais la pollinisation ne concerne pas seulement notre alimentation. Un certain nombre de plantes sauvages, dont on ignore parfois jusqu’à l’existence, ont absolument besoin de certaines espèces, sans lesquelles elles disparaissent. Beaucoup d’espèces sauvages ont déjà disparu. On n’en parle pas car elles sont moins intéressantes que l’abeille domestique d’un point de vue économique. Ça va malheureusement continuer.

Quels sont les principaux périls qui menacent les abeilles actuellement ?
L’espèce humaine pollue énormément et menace toutes les espèces d’abeilles, notamment par le dérèglement climatique ou l’utilisation des pesticides et des insecticides. Les périls sont nombreux et surtout se conjuguent entre eux. Les abeilles sont de plus en plus soumises aux conséquences des activités humaines, qui étendent leur emprise sur la nature pour construire, coloniser et aménager de nouveaux espaces d’exploitation. Si on prend l’exemple extrême de la Beauce, il n’y a plus de place pour les abeilles. La monoculture a supprimé les talus et les haies qui permettent la nidification des espèces sauvages. Si, malgré tout, les pollinisateurs parviennent à s’installer, ils meurent à cause des produits chimiques répandus dans les champs. De plus, dans le contexte mondialisé, en ce qui concerne l’apiculture, on échange un certain nombre de matériel génétique à travers le commerce des reines qui favorise la propagation des virus, des bactéries pathogènes ou des parasites…
Le dernier exemple, c’est l’arrivée, au début 2010, d’un nouveau prédateur, le frelon asiatique, très angoissant. Les abeilles subissent ainsi toutes sortes de pressions qui amplifient les stress, en les combinant les uns avec les autres. Par exemple, parmi les insecticides, le danger ne vient pas seulement des néonicotinoïdes car tous les produits au contact des abeilles créent des interactions détonantes. En ce moment, l’INRA a engagé un certain nombre d’études sur les effets cocktails entre les produits chimiques et leurs effets combinés avec d’autres vecteurs pathogènes ou maladies. On a identifié également une vingtaine de virus. Le virus des ailes déformées, notamment, est très virulent et, comme notre grippe, mute très rapidement, fragilisant les colonies affaiblies.

Comment lutter aujourd’hui pour préserver les abeilles ? Quels sont les moyens à notre disposition ?
Les abeilles domestiques, même si elles ne sont pas en voie de disparition, sont très fragilisées. Les apiculteurs paient le prix fort en termes de productivité. Il faut tout faire pour les soutenir. En plus de légiférer sur l’usage des insecticides, il faut également penser à aménager l’espace en conservant des parcelles sauvages pour permettre aux espèces de se nourrir toute l’année. Même s’il existe des moyens mis à la disposition des apiculteurs pour lutter contre des parasites et les maladies, la bonne vitalité des colonies permet d’augmenter leur résistance aux agressions et au stress. Par exemple, pour le varroa, on dispose soit de molécules de synthèse, soit de molécules naturelles dans le cadre de l’agriculture biologique. Dans tous les cas, il s’agit de produits acaricides qui ne sont, par définition, pas très bons pour les colonies, sans compter que le traitement représente un coût pour l’apiculteur en termes d’achat et de temps. Pour les virus, il n’y a rien à faire, et pour certaines bactéries comme la loque américaine, on détruit systématiquement les colonies touchées pour empêcher la propagation. Nous devons réfléchir différemment et développer des résistances naturelles dans les colonies elles-mêmes. Certaines lignées d’abeilles résistent au varroa, c’est le cas des abeilles asiatiques, Apis cerana, ou des abeilles africaines, Apis scutellata, il faut donc travailler sur des critères de sélection moins productivistes qui prennent en compte les capacités de défense ou de résistance – comme celle au varroa – en plus des critères classiques, comme la productivité, la douceur ou l’agressivité.

À LIRE
Les abeilles
. Jean Solé et Yves Le Conte. Petite Bédéthèque des Savoirs – Éditions du Lombard – 72 pages – 13,9 x 19,6 cm – 10 €
L’apiculture en bande dessinée. Yves Gustin. Rustica Éditions – 222 pages – 21,5 x 29,5 cm – 18,95 €

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