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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

Pour un monde résilient et plus humain

L'économie symbiotique avec Isabelle Delannoy

Après avoir cherché pendant de longues années les solutions pour la planète et pour l’humanité, Isabelle Delannoy a créé un nouveau modèle d’économie brisant le cercle infernal de nos sociétés basées sur l’extraction de ressources. Cela donne une économie radicalement nouvelle, capable de faire vivre en harmonie les êtres humains et les écosystèmes.

On sait tous que la dégradation du climat et de la biodiversité reflète de façon criante un mode de fonctionnement irresponsable de l’humanité. Dans ce marasme global, pourtant, il est possible d’être optimiste. C’est ce que nous dit l’économie symbiotique. Isabelle Delannoy, ingénieure agronome de formation, a cherché pendant plus de dix ans les pistes d’un nouveau monde résilient, où il est possible de produire en régénérant plutôt qu’en épuisant, de passer d’une économie extractive (des ressources) à une économie régénérative. Elle nous montre que la richesse peut naître de la coopération et non uniquement de la compétition, que l’humain peut faire croître le vivant lorsqu’il en respecte les équilibres et sait en reconnaître les intelligences propres.

Accroître les synergies

Dans cette économie, l’humain n’exploite plus le vivant en le détruisant pour répondre à ses besoins. Il se fait catalyseur des systèmes vivants. Il ne modifie en rien la structure de ces êtres vivants, il ne fait qu’accroître des synergies naturelles.

Une logique d’écosystèmes

Les solutions qui composent cette nouvelle approche s’appellent permaculture, économie circulaire, biomimétisme, économie du partage, open source, etc. Elles sont déjà à l’œuvre localement et dans différents endroits de la planète. Dans une synthèse lumineuse, présentée dans son livre, Isabelle Delannoy a mis en cohérence toutes ces approches, les développant en synergie et faisant apparaître une logique d’écosystème.

Pour Rebelle-Santé, Isabelle Delannoy revient sur les grands principes de l’économie symbiotique.

Christophe Guyon : Quels sont le but et l’originalité de l’économie symbiotique ?

Isabelle Delannoy : L’économie symbiotique régénère le milieu dont elle dépend. Dans cette économie, l’être humain, parce qu’il produit, régénère les écosystèmes vivants, les liens humains et l’économie de son territoire. C’est une théorisation issue de l’observation de ce qui s’est développé ces 50 dernières années : permaculture, économie circulaire, économie de la fonctionnalité, du partage – pair à pair –, économie sociale et solidaire, monnaies complémentaires… Tous ces modèles semblent très différents mais fonctionnent de la même façon, en écosystèmes. Lorsqu’ils s’assemblent, ils rentrent en complémentarité et produisent une économie radicalement différente qui devient régénérative de ses ressources et non plus extractive comme aujourd’hui. Elle met en symbiose la croissance du vivant, l’efficience de notre technologie et la qualité de nos liens humains.

Comment cette économie crée-t-elle des écosystèmes ?

Elle le fait à l’image de la permaculture. Une exploitation en permaculture est un ensemble d’écosystèmes. À l’échelle de la parcelle de terrain, elle met en coopération des espèces qui vont s’enrichir mutuellement. L’art du permaculteur est de favoriser ces échanges, c’est-à-dire de permettre aux plantes de faire circuler les ressources entre elles pour se potentialiser mutuellement. Cela crée un écosystème où chaque espèce a plusieurs fonctions : production de nourriture, de nutriments, régulation de l’eau, production de paysages, etc. C’est surtout hyper productif et quasiment autonome. L’économie sym­biotique crée des écosystèmes sociaux de la même façon.

La nature est une source d’inspiration importante dans l’économie symbiotique ?

Oui, le biomimétisme, où on s’inspire du vivant pour répondre à des problèmes, permet de trouver de nombreuses solutions intelligentes et résilientes.

Je reviens du Japon où j’ai pris leur TGV, le Shinkansen. Ce train a eu de gros problèmes d’aérodynamisme. Il vibrait beaucoup et ne pouvait pas­ser dans les tunnels à grande vitesse à cause des pressions d’air brutales. La solution est venue du martin-pêcheur.

Pour attraper les poissons, cet oiseau doit plonger dans l’eau très vite et sans remous. En reproduisant la forme du bec du martin-pêcheur sur le nez du train, les problèmes de vibration ont été résolus et le train économise jusqu’à 10 % d’énergie.

Un autre aspect de l’économie symbiotique est le principe de la fonctionnalité. De quoi s’agit-il ?

C’est de privilégier l’usage plutôt que la possession. On s’aperçoit, par exemple, qu’on utilise une perceuse seulement quelques heures par an. Tout le reste du temps, c’est de la matière immobilisée pour rien. Si, au lieu de cela, on louait ce type d’équipement, on n’aurait pas besoin d’en fabriquer autant. De plus, dans cette logique, comme l’appareil appartient au constructeur, ce dernier a intérêt à réaliser des objets solides. On sort donc de l’obsolescence rapide et on diminue drastiquement la consommation de matière. Ce qui est valable pour l’outillage, l’est aussi pour les voitures, les objets informatiques et de nombreux autres produits. Si on ajoute à cela une fabrication basée sur la modularité et l’interopérabilité, l’efficience se trouve multipliée.

En quoi consiste l’interopérabilité ?

C’est l’idée de construire des objets ou des systèmes à partir de briques élémentaires qui s’emboîtent entre elles. Par exemple, le Puzzlephone est un smartphone constitué de modules assurant des fonctions élémentaires : téléphoner, gérer le son, prendre des photos, etc. Ils répondent à une norme de connexion mécanique et informationnelle. On peut donc facilement les changer. Si je veux améliorer la qualité des photos de mon Puzzlephone, j’ai juste à remplacer le module photo par un mo­dule plus performant. L’ancien peut être réinséré dans un autre téléphone. L’usage et la durée de vie des appareils sont maximisés tout en pouvant s’améliorer plus facilement.

L’économie symbiotique s’appuie aussi sur les monnaies complémentaires…

Avec une monnaie complémentaire, on augmente les échanges locaux et cela crée de la valeur économique locale. Une monnaie complémentaire n’a pas intérêt à être conservée ni à stagner. Donc, elle favorise les échanges. Cela permet aux petits agri­culteurs, aux petits commerçants locaux de vivre et d’arrêter d’être prisonniers de puissances qui envoient leur chiffre d’affaires dans la sphère financière mondiale.

Aujourd’hui, des entreprises utilisent déjà des monnaies complémentaires entre elles ?

Oui, cela s’appelle le crédit mutuel. Par exemple, si je suis webmaster et que mon carnet de commandes est vide, je vais proposer la réalisation d’un site Internet sur la plate-forme de services destinée aux entreprises en monnaie locale. On va me créditer en monnaie locale et cela me permettra peut-être de louer des salles de réunion auprès d’une autre entreprise en utilisant la monnaie locale. Donc, même si j’ai des problèmes de trésorerie en euro, je peux faire du business et acheter des services grâce à la monnaie locale.

À quoi ressemblerait un système de santé symbiotique ?

Deux tiers des maladies viennent de l’environnement, aujourd’hui. Ces maladies progressent quatre à cinq fois plus vite en France que le changement démographique. Donc, déjà, se mettre dans un environnement qui nous déstresse, c’est réduire la source des facteurs qui provoquent du mal-être, des maladies et qui sont à l’origine de deux décès sur trois dans le monde. Les systèmes productifs de l’économie symbiotique créent des environnements qui nous soignent. Isoler, épurer les eaux usées, infiltrer les eaux de pluie, gérer autrement l’énergie… Cela fournit de très beaux paysages. Où l’on se régénère mentalement, mais aussi physiquement et socialement. Où l’on a envie de sortir, de marcher, de faire du vélo. Et puis, il faudrait avoir des pharmaciens qui soient de nouveau encouragés et autorisés à faire des préparations majoritairement à base de plantes. On produirait un soin personnalisé à partir de plantes, en créant un lien entre le médecin, le patient, l’herboriste ou le pharmacien.

Comment chacun peut-il participer à cette nouvelle économie ?

Nous avons tous notre sphère d’action possible. C’est une économie qui part du local, et donc à la portée de chacun. Achetez local, participez à des coopératives d’achat citoyen, d’agriculteurs-consommateurs, participez au crowdfunding des acteurs près de chez vous. Mutualisez vos objets. Dans un jardin, sur un balcon, plantez sans pesticides. Participez aux programmes de poules pondeuses et de compost collectif. Exigez d’aller vers l’autonomie alimentaire des territoires. Parlez à vos élus, faites des collectifs pour des jardins de pluie plutôt que d’agrandir les égouts, pour des jardins partagés et l’investissement dans des terres maraîchères… C’est moins cher, cela évite que les villes deviennent des fours l’été, cela reconstruit les équilibres écologiques planétaires, diminue les consommations d’énergie, embellit la ville. Il faut reprendre en main l’économie de nos territoires, la satisfaction de nos besoins essentiels, et rendre à la terre chaque mètre carré qui lui a été inutilement pris. C’est urgent.

L’économie symbiotique
Régénérer la planète, l’économie et la société
Isabelle Delannoy
Éd. Actes Sud
22 €.

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