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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

La vigne dont on fait le vin

"Dans les vignes, chroniques d'une reconversion"

In vino veritas* : on connaît tous le vieux proverbe, mais que savons-nous vraiment du vin ? Catherine Bernard est vigneronne dans le Languedoc où elle produit des vins naturels. Dans ses livres, elle raconte ses travaux des vignes et questionne la part culturelle et philosophique de ce que nous buvons. Une initiation au vin qui passe du ciel à la terre, de la vigne au raisin, de la cuve à la table.

Les vins de Catherine Bernard s’appellent simplement « Le Carignan », du nom d’un des cépages qu’elle cultive, « La Carbonelle » du nom de sa parcelle, « Le rosé »… Des vins de pays sans prétention sinon celle de ramener au nez et à la bouche l’histoire des raisins qui les ont faits. Cela fait 16 ans que Catherine a tourné le dos à sa carrière de journaliste. Vingt ans à travailler dans les rubriques économiques pour de grands quotidiens avant de s’installer comme viticultrice-vigneronne à Saint-Drézéry, dans l’Hérault, où elle cultive trois hectares à peine, et dont elle tire 15 000 à 20 000 bouteilles par an de vins naturels, jamais le même. Après avoir construit sa cave bioclimatique en 2015, elle se lance aujourd’hui dans l’expérimentation viti-forestière avec son fils Nicolas, 26 ans, qui l’accompagne et travaille avec elle. Tout cela, Catherine l’écrit dans ses livres. En se documentant et en partageant son expérience, elle enrichit ses réflexions, dit sa joie de vivre, dénonce les méfaits de la monoculture et se confronte au changement climatique de plus en plus visible. La réédition en poche de son premier livre « Dans les vignes, chronique d’une reconversion » (2011) où elle témoigne de son installation, est l’occasion de revenir sur son expérience et d’aborder la philosophie concrète qu’elle tire du travail de la terre et du vin. 

Rebelle-Santé : En 2005, vous vous installiez comme viticultrice et vigneronne. Votre expérience est très inspirante et toujours d’actualité. Qu’est-ce qui vous a décidée à cultiver la vigne ?

Catherine Bernard : Je suis allée vers la vigne pour retourner à la terre, et ce besoin de retour à la terre est intemporel car nous venons tous de la terre de plus ou moins loin. Je suis née dans les années 1960, j’ai grandi dans la campagne nantaise mais mes parents n’étaient pas agriculteurs. Ça change tout. La plupart des enfants d’agriculteurs de ma génération n’avaient qu’une seule envie, celle de quitter la terre, tandis que pour moi, la campagne était synonyme de liberté : une liberté de corps et de mouvement, avec laquelle j’ai construit mon rapport au féminin. Quand je passais mon temps en bottes dans les champs à courir dans les fossés, je n’étais pas obligée d’être une petite fille sage qui prend soin de sa jolie robe. J’aimais la campagne pour ses odeurs, aller chercher le lait à la ferme, me sentir de la planète au sens large, avec cette conscience de ne pas être hors sol, de savoir d’où je viens, où je pose le pied, vers quoi je lève la tête. J’ai fait des études parce qu’il fallait faire des études mais j’ai toujours gardé dans un coin de ma tête l’idée que j’irais travailler la terre. Au début, je ne connaissais rien au vin. J’étais arrivée comme correspondante de Libération à Montpellier où je suis restée pendant 4 ans. Mes enfants commençaient à grandir, j’avais une vie qui se construisait. Plutôt que de retourner dans ma région, je me suis installée où la vie m’avait conduite et comme à cette époque 90 % de l’agriculture du Languedoc étaient des vignobles, je suis allée vers la vigne et le vin. 

Vos livres nous plongent directement dans le concret, dans un langage du corps qui associe le caractère physique et spirituel du travail de la terre : en quoi revenir à la terre vous a-t-il permis « de penser droit » ? 

En travaillant la terre, je revis avec mon corps et j’oublie le regard de l’autre ; ce regard si pesant dans notre société où il faut toujours être en représentation. Pour les femmes de ma génération, les obligations vestimentaires et corporelles représentaient un vrai carcan. C’est encore vrai aujourd’hui. Dans mes vignes, je m’émancipe de ces carcans. J’apprends à être une femme dans un corps de femme, ce qui signifie travailler avec l’intelligence de mon corps, avec ses limites. Je ne peux pas travailler en force. Le métier est physique et je ne cherche pas non plus à faire comme un homme. Si le corps s’use, on fatigue et on n’aime plus ce qu’on fait. Un ami me disait en rigolant que je jouais à la dînette. Je m’en fiche, je continue. Il n’y a pas de voie unique. J’adapte ma façon de travailler à mon corps et je fais des choix, des investissements pour trouver le moyen de ne pas me tuer au travail. Je réfléchis en confrontation permanente avec la matière et le vivant. Le travail de la terre ramène à une autre échelle de contraintes très concrètes et tellement puissantes qu’elles libèrent l’esprit, elles libèrent de soi, elles font taire l’ego et empêchent de vouloir tout contrôler. L’oubli de soi est quelque chose de merveilleux : la tête vagabonde là où elle peut vagabonder ; elle ne rumine plus en faisant tourner le petit vélo. La vigne a changé mon rapport au temps. Elle m’a appris que tout ne dépendait pas de moi. Quand on travaille sur autre chose que du vivant, il faut tout maîtriser, c’est une injonction et un poids énorme qui disparaît. Je commence seulement à récolter les fruits d’une vigne que j’ai plantée en 2014 et je serai sans doute morte quand elle arrivera à maturité. La vigne remet la vie à sa place de la naissance à la mort, et la mort redevient acceptable puisqu’elle fait partie de la vie. 

Vous montrez comment les vignobles du Languedoc se sont constitués au gré des vagues successives de nouveaux arrivants depuis les Romains dans l’Antiquité jusqu’à l’installation des Pieds Noirs à la fin de la guerre d’Algérie. Comment avez-vous été reçue en tant que nouvelle arrivante convertie aux pratiques biologiques ?

Venir d’une autre région, d’un autre milieu et être une femme : a priori, je cumule. En réalité, le regard sur une femme qui fait du vin avait déjà changé mais je débarquais dans un monde que je ne comprenais pas. L’histoire des vignobles m’a appris combien le Languedoc est une terre qui a été colonisée de nombreuses fois et qui a toujours rebondi grâce à des étrangers. En tant que nouvelle arrivante, j’ai plein d’anecdotes mais j’ai laissé dire, je viens moi aussi de la campagne et je n’ai pas non plus cherché à convaincre, à convertir, ni d’ailleurs à m’agrandir si bien que je n’ai jamais rencontré de véritables hostilités. 

*

Vous dénoncez le vin comme un « trompe-l’œil », en montrant avec humour comment le discours marketing qui s’appuie sur le vocabulaire de l’œnologie a conduit à la standardisation des goûts. En quoi vos vins naturels sont-ils différents ?

Mes vins ne sont pas reproductibles et sur le marché, ma production ne sera jamais consensuelle. Je vends mon vin moins à des connaisseurs qu’à des gens qui portent une attention aux choses. Aujourd’hui, la dégustation de vin est mise au même niveau qu’une partie de golf. Le vin est devenu une expérience sociale, un luxe, une pratique extérieure à soi, un savoir qu’on croit maîtriser en étant capable de nommer une vingtaine de cépages, alors qu’on détruit toute la diversité des vignobles pour ne planter que ceux-là. Pour moi, le vin, c’est au contraire une expérience intime, une manière de se retrouver et d’écouter la petite voix intérieure qui nous remet dans nos baskets et qui nous permet de rentrer en relation avec les autres.

L’an dernier, avec la sécheresse, des vignes ont brûlé. Comment percevez-vous les effets du réchauffement climatique ?

Je pense que le changement climatique est à l’œuvre depuis que je me suis installée, mais il est visible depuis 2016. Il se traduit surtout par des périodes de sécheresse plus longues. Nous n’avons plus les pluies d’orages à la mi-août, ce qui fragilise la vigne et déséquilibre les raisins. De plus les dérives du greffage industriel conduisent à un appauvrissement génétique puisque les densités de plantations sont très élevées, entre 4000 et 10 000 pieds à l’hectare selon les régions viticoles. Avec le réchauffement climatique, tout se combine et s’accélère, on touche aux limites de la monoculture. Il faudrait tout désapprendre, car la pérennité de la vigne est gravement menacée. Peut-être même qu’en 2070, on ne pourra plus cultiver la vigne en Languedoc. Pour l’instant, la parade, c’est l’irrigation, une perfusion alors que l’érosion prépare le désert. 

Aujourd’hui, votre fils Nicolas travaille avec vous, comment s’organise la transmission ?

Pour être tout à fait franche, comme je le raconte dans « Ma part des anges » (2019), mes deux fils ont toujours travaillé avec moi. Quand Nicolas m’a dit qu’il voulait être vigneron, je l’ai envoyé faire ses classes ailleurs. Il est parti en Bourgogne. Maintenant, il travaille avec moi, mais en réalité on confronte, on défriche, on réfléchit ensemble car, finalement, on en est au même point. Après le coup de chalumeau, il m’a aidée à trouver l’élan de repenser tout notre travail, et pour lui, comme il apprend au même rythme que moi, il n’est pas obligé de se glisser dans les pantoufles de maman. Il dit lui-même qu’il n’aurait jamais travaillé dans les vignes si j’avais travaillé en conventionnel. J’ai surtout réussi à lui transmettre une manière de trouver de la joie au travail, aux gestes, sans penser seulement au rendement, à la rentabilité, à l’argent et à remettre les choses en perspective.

Les livres de Catherine Bernard 

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Une place sur terre, éd. Rouergue, 14,80 €.

Ma part des anges, éd. les Ateliers d’Argol, 15 €.

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