Le sucre, les revers du plaisir
Histoire du sucre, histoire du monde
James Walvin, traduit de l’anglais par Philippe Pignarre
Éd. La Découverte
15 x 24 cm
288 pages
22 €.
« C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe », disait Voltaire dans le célèbre épisode de la rencontre avec le « nègre de Surinam » dans Candide, pour dénoncer l’esclavage.
Au XVIIIe siècle, en Europe et notamment en France et en Angleterre, le sucre est devenu un produit de consommation de masse. Il s’immisce dans toutes les cuisines et s’impose avec de nouvelles pratiques autour du thé ou du café. Le britannique James Walvin est professeur d’histoire émérite à l’université d’York et spécialiste de l’histoire de l’esclavage. Dans cette démonstration formidable, il montre comment le sucre est devenu un élément essentiel dans l’histoire des sociétés occidentales depuis la découverte de l’Amérique, un agent essentiel de la colonisation.
Autrefois produit de luxe, le sucre se généralise grâce à la mise en place des plantations de cannes à sucre dans les colonies du Nouveau Monde, dans les Caraïbes ou sur le continent américain. L’histoire du sucre est ainsi inextricablement liée au commerce triangulaire et à la déportation de millions d’esclaves africains. Mais l’histoire ne s’arrête pas là : après l’abolition de l’esclavage, les conditions des travailleurs n’ont rien à envier au sort des mineurs ou des ouvriers dans les usines, de même que l’impact écologique des cultures est dramatique. Le sucre, en moteur clé de la révolution industrielle, s’insinue partout, dans les plats préparés, les boissons et même les céréales du petit déjeuner.
La puissance de ces lobbys du sucre depuis les trusts d’hier jusqu’aux multinationales agroalimentaires contemporaines n’a d’ailleurs rien à envier à celle des géants pétroliers.
En deux siècles, la consommation exponentielle a accompagné la croissance démographique mondiale avec les conséquences sanitaires qu’on connaît. Problèmes dentaires, obésité, diabète et addiction sont des fléaux que mêmes les lobbys du sucre ne peuvent plus ignorer, au point qu’ils engagent aujourd’hui tout leur marketing à proposer des produits « sans sucre », comme Coca-Cola. « Personne ne s’attend à ce que le sucre s’évapore. C’est une industrie qui emploie trop de monde, et l’attachement culturel au sucre est bien trop profond pour qu’il disparaisse du jour au lendemain », conclut James Walvin dans cette brillante leçon d’histoire qui explique comment le monde entier est devenu addict. À méditer.