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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

Norme ISO sur les cosmétiques naturels

Vers un bio au rabais ?

La norme ISO 16128 a été publiée fin 2017. Cette référence mondiale donne des définitions et des critères applicables aux ingrédients et produits cosmétiques naturels et biologiques. À peine connu, le texte était déjà fortement controversé. Faut-il s’en inquiéter ?

La norme ISO 16128 est « une boîte de Pandore derrière laquelle se cache peut-être une tromperie généralisée au niveau mondial », alertait, dès septembre lors d’une conférence de presse, Romain Ruth, le Président de Cosmébio, dont le logo signalant une qualité biologique est apposé sur plus de 5000 produits cosmétiques.

C’est la première fois que « les acteurs internationaux de la cosmétique parlent tous le même langage, grâce à ce premier texte d’harmonisation relatif aux ingrédients biologiques ou naturels », rétorquait alors la FEBEA (Fédération des entreprises de la beauté), qui représente majoritairement l’industrie conventionnelle.

Vent debout, l’ensemble des acteurs historiques du bio (Cosmébio mais aussi Ecocert, Cosmos ou Natrue) dénoncent les dangers de cette norme, quand ses auteurs se réjouissent d’apporter de la clarté et de l’uniformité dans ce secteur jusqu’alors régi uniquement par des intérêts privés. Que doivent en pen­ser les consommateurs que nous sommes ?

Qu’est-ce qu’un cosmétique bio ?

Il faut savoir qu’il n’y avait pas jusqu’à présent de définition « légale » d’un produit cosmétique biologique, comme il en existe dans le secteur alimentaire. Plusieurs référentiels ont été élaborés, en France ou dans d’autres pays, avec des critères parfois un peu différents, et sont contrôlés par des organismes non étatiques. Un gros business, selon certains, puisque le bio est en vogue et que les certifications sont loin d’être gratuites, et une jungle de labels dans laquelle le consommateur se perd…

Une norme pour mettre de l’ordre ?

L’origine de la norme ISO 16128 vient de la volonté d’établir un socle unique pour définir ce que sont les ingrédients et les produits cosmétiques naturels et biologiques : une seule règle, valable partout dans le monde.

Classiquement, une norme est élaborée au sein de l’Organisation internationale de normalisation (International Organization for Standardization ou ISO). Elle est le résultat d’un consensus, trouvé au terme de discussions regroupant des représentants du monde entier. Elle est alors considérée comme « l’état de l’art » en la matière et de­vient une référence internationale.
Le maître-mot ici est « consensus » : il s’agit de trouver un accord entre toutes les régions du monde, dont les approches sont parfois à l’opposé. Un exemple : certains pays considèrent que les végétaux génétiquement modifiés restent des ingrédients naturels, alors que les référentiels bio européens interdisent tous absolument ces OGM…

Qui dit consensus dit aussi parfois compromis… et selon Romain Ruth, la « surreprésentation de la cosmétique conventionnelle » a conduit à ce que les référentiels existants ne soient pas pris comme base de travail, et a obligé les acteurs historiques du bio à quitter la table des discussions de l’ISO. D’où leur opposition au texte aujourd’hui.

Que dit la norme ?

La norme ISO 16128 a été déclinée en deux volets.
La première partie, publiée en 2016, est consacrée à la définition des ingrédients et détaille les critères qui font qu’un ingrédient peut être considéré comme « biologique », « dérivé biologique », « naturel » et « dérivé naturel ».
La deuxième partie, qui a été publiée en septembre 2017, fournit les modes de calculs permettant d’établir les indices de naturel et/ou de biologique des ingrédients, dont découlent les pourcentages de naturel et de biologique d’un produit fini.

À noter que cette norme n’a pas vocation à être, en tant que telle, un nouveau référentiel bio. Ainsi, elle ne prévoit aucun pourcentage minimum d’ingrédient naturel ou biologique pour définir si un produit l’est aussi. Elle ne comprend pas non plus de liste d’ingrédients interdits. Et ce ne sont que deux des « nombreuses portes dérobées qui permettent de mettre à peu près tout ce qu’on veut dans un produit qui sera présenté comme naturel », selon les représentants de la cosmétique biologique labellisée.

Quel bio avec la norme ISO ?

Comme toutes les normes, celle sur les cosmétiques naturels et biologiques n’a pas de caractère obligatoire. Elle est dite d’application volontaire, ce qui signifie qu’un industriel qui s’estime en conformité avec ses spécifications peut s’y référer librement et en faire état sur l’étiquetage de ses produits… quitte ensuite à devoir justifier sa bonne foi auprès des autorités de contrôles du marché.

Que seront donc ces cosmétiques qui se revendiqueront « biologiques et/ou naturels à XX % selon la norme ISO 16128 » ? Plusieurs aspects inquiètent les acteurs historiques du bio.

Du naturel… qui n’en est pas vraiment

Il est des ingrédients dont l’origine peut être naturelle, mais qui ont subi des transformations qui font qu’au final, ils ne le sont vraiment plus du tout… Les OGM en sont un bon exemple, mais d’autres peuvent être évoqués.

Imaginons du sable, on ne peut plus naturel, qui sert de base à la fabrication d’une silicone, polluante pour l’environnement puisque très peu biodégradable, et dont certaines sont des perturbateurs endocriniens : le pourcentage de sable utilisé, disons 70 % de l’ingrédient final, pourra faire créditer celui-ci d’un indice de naturel de 0,7…

Prenons encore le cas de l’alcool, naturel et éventuellement biologique. S’il est dénaturé avec une substance autorisée par d’autres réglementations (c’est notamment le cas pour des raisons fiscales) comme un phtalate, il pourra être également utilisé dans un produit dit naturel.

Du naturel… avec du chimique controversé

Cette norme, qui prévoit des règles de calcul mais n’interdit rien, ouvre aussi la porte à l’apparition sur le marché de produits estampillés naturels, par exemple à 95 %, mais dont les 5 % restants sont constitués d’ingrédients chimiques que nombre de consommateurs veulent éviter, justement en choisissant des produits bio. Parmi eux : des conservateurs controversés (parabènes, phénoxyéthanol…), des parfums synthétiques, des solvants pétrochimiques, des ingrédients chimiques polluants…

Pour les porte-paroles de Cosmébio, « ce genre de produits, porté par l’industrie conventionnelle, va inonder les rayons de la grande distribution, et c’est un risque de confusion important pour le consommateur, qui trouvera côte à côte dans les mêmes rayons des produits vraiment naturels, et des produits qui ne le sont pas, mais qui se présenteront de la même façon ».­

Du naturel calculé… avec ou sans eau

Actuellement, les pourcentages d’ingrédients naturels et biologiques qui sont affichés sur les produits labellisés sont calculés en incluant l’eau de formulation, qui représente une grande partie des produits cosmétiques (de 50 à 60 % en moyenne pour une crème, jusqu’à 90 % pour un shampooing ou un gel-douche).

La norme ISO prévoit la possibilité d’effectuer les calculs avec l’eau ou sans l’eau. Conséquence pratique ? Si on inclut l’eau (naturelle), le pourcentage d’ingrédients naturels augmente fortement. Si on l’exclut du calcul, c’est cette fois le pourcentage d’ingrédients bio qui est boosté !

L’exemple de l’ISO 16128 pour un produit fini :
• Contenu naturel
   > Avec l’eau : 83,4 %
   > Sans eau : 58,5 %.
• Contenu d’origine biologique
   > Avec l’eau : 12,2 %
   > Sans eau : 30,5 %.

Comment cette subtilité des modes de calcul sera-t-elle utilisée par les marques ? Comment ces chiffres seront-ils indiqués sur les étiquettes ? Rien n’est prévu dans la norme sur ce point et à ce jour, c’est encore la grande inconnue…

Du naturel… d’avenir ?

« On ne sait pas aujourd’hui exactement de quelle manière la grande majorité des industriels va faire référence à cette norme, mais on suppose qu’une certaine forme de créativité marketing devrait permettre de créer des produits véritablement “pseudo-naturels” et
faussement biologiques. Il y a un vrai risque de greenwashing* », a averti Romain Ruth, lors de la conférence de presse de septembre.

Et il y a aussi un risque que ce greenwashing craint par le Président de Cosmébio soit institutionnalisé si la norme ISO servait de base à l’élaboration d’un label bio « officiel » que la Commission européenne projette de créer depuis plusieurs années…

Dans le débat qui semble opposer David (la cosmétique bio historique) à Goliath (les grandes marques conventionnelles attirées par ce marché en plein essor), nous, consommateurs, avons bel et bien notre mot à dire : par exemple en choisissant les produits qui souscrivent aux référentiels les plus exigeants, dont les critères sont publiés, et qui les affichent en toute transparence…

* Procédé de marketing utilisé pour se donner une image écologique responsable

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