Ishtar Jaulin, autrice du livre Céline (éditions Artliban Calma)

celine ishtar jaulin

Ishtar Jaulin est la maman de Céline, une jeune femme souffrant de troubles autistiques, née sous les bombes de la guerre civile libanaise il y a plus de trente ans. Dans son récit publié au Liban fin 2023, elle revient sur leur parcours complexe, leur relation silencieuse pleine de tendresse, et tente de mettre des mots sur l’inexplicable.

Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?

Cet ouvrage est un cri du cœur, un appel à regarder l’autre dans son Humanité. En effet, ma fille Céline est atteinte d’autisme et nous avons une histoire particulière. Je suis née au Liban et j’ai dû fuir le pays à cause de la guerre avec mon mari (qui est français) et mes deux enfants. C’est grâce à Céline, finalement, que nous sommes restés en France puisqu’elle a été suivie par des professionnels à partir du moment où les doutes sur sa santé ont commencé.

Pourquoi avez-vous voulu l’écrire comme un journal ?

Je l’ai d’abord écrit pour moi, je voulais mieux comprendre ce que nous vivions. C’est la pandémie qui a accéléré les choses : Céline, qui était en foyer, est revenue vivre avec nous pendant quelques mois. En quelques heures, j’ai dû ranger vite mon atelier – je suis art-thérapeute et psychothérapeute – pour la recevoir dans les meilleures conditions possibles. C’est là que j’ai commencé à écrire le journal, pour garder une trace.

Comment se passe un confinement avec une adulte ayant des troubles autistiques ?

Céline m’a beaucoup appris pendant ce confinement. Grâce à sa vulnérabilité, nous avions le droit de sortir. C’était une véritable re-découverte de Paris pour elle et pour moi, même si elle a eu beaucoup de mal à comprendre que tout était fermé et qu’elle ne pouvait pas aller à la piscine, qu’elle adore lorsqu’elle vient en week-end chez nous. Cette période était très particulière ; elle se sentait plus libre, plus légère, oubliant le regard de l’autre. Je la suivais sans lui imposer de chemin à travers les rues désertes. C’était émouvant car on était seules ensemble, finalement.

Comment définiriez-vous l’autisme ?

C’est très difficile à définir. On vit avec un être de silence, mystérieux, qu’on ne connaît pas car il ne parle pas de qui il est, de ce qu’il pense, de ce qu’il ressent. Parfois, souvent même, c’est douloureux. Il y a beaucoup de choses qui me dépassent. On a aussi de très beaux moments ensemble, elle est innocente et émerveillée, comme une jeune enfant. Si elle est de bonne humeur, un rien va lui faire plaisir. Elle voit le monde à sa manière, finalement. Son silence m’a appris à puiser dans mes propres ressources intérieures.

Comment avez-vous su qu’elle souffrait d’autisme ?

Au Liban, on vivait en autarcie, enfermés dans une seule pièce tous les quatre. Elle n’avait que huit mois quand nous sommes partis. En arrivant en France, j’ai entendu une maman parler d’autisme à la télé et j’ai dit à mon mari : « Change de chaîne, c’est atroce. » Pourtant, il commençait à y avoir des signes : Céline hurlait toutes les nuits, mais je pensais que c’était à cause du souvenir des bombardements ; elle ne parlait pas, elle me repoussait à chaque câlin, mais je pensais que c’était dû aussi au traumatisme de la guerre. On ne nous a pas dit tout de suite le mot « autisme », ça a pris du temps avant de poser un diagnostic clair.

Avez-vous des regrets ?

Parfois, je pense à ce que les autres filles font avec leur maman, mais je chasse vite cette idée. Je n’ai pas cette attente-là vis-à-vis d’elle. On a essayé plein de méthodes, aucune n’a fonctionné. À l’âge de 18 ans, j’ai compris qu’il fallait que j’arrête de courir avec elle à droite à gauche pour voir des spécialistes. J’ai découvert qu’il y avait un grand bonheur entre nous qui pouvait être vécu. Aujourd’hui, je ne cherche qu’à en profiter : se balader, manger de bonnes choses, passer du temps ensemble, même si c’est en silence et que je lui arrache péniblement un « oui » ou un « non » de temps à autre.

Pourquoi est-elle en foyer ?

Ici, en France, c’est la « règle » à l’âge adulte, si on le souhaite. Au foyer, elle est heureuse, elle a ses repères. Aujourd’hui, Céline n’a plus de crise, elle est calme, agréable. Je pense que c’est aussi parce qu’elle a senti qu’elle avait le droit d’avoir sa vie à elle, même si pour nous c’était douloureux de la laisser à d’autres. Je sais aussi que nous ne sommes pas éternels. Il est nécessaire de travailler sur la question de la vieillesse aujourd’hui : que vont devenir ces jeunes en train de vieillir, quand leurs parents seront décédés ? Je suis soulagée que Céline vive désormais en communauté, qu’elle ne risque pas de finir à la rue si je pars.

Quelle différence voyez-vous entre la France et le Liban concernant l’autisme ?

C’est un tabou au Liban. Les gens s’entraident, mais on n’en parle pas beaucoup. L’État ne donne aucune aide. Je crois que mon livre, publié là-bas, a ouvert un chemin d’espérance pour les parents. Poser des mots sur les choses a délié les langues, nous avons pu partager avec intégrité.

Pour vous, Céline est une héroïne ?

Oui, vraiment. Récemment, je me suis rendue dans des écoles où mon livre a été choisi par les élèves pour le bac et j’ai été très émue. Ils considèrent Céline comme une héroïne qui nous montre le chemin de la tolérance. C’est tellement important de dire que nos enfants ne font pas peur si on leur ouvre notre cœur ! Cela nous aide à grandir.

CITATIONS EXTRAITES DE L’OUVRAGE
– « Tu ne fais rien comme les autres. Et les autres ont peur de toi. Comment nous retrouver dans cet univers ? (…) Sur notre passage, les trottoirs se vident. Je ne sais plus. Ton silence est brisure.« 
– « La pédiatre a annoncé qu’il valait mieux rester en France pour soigner Céline. En somme, c’est elle qui a sonné l’exil. Je savais qu’il fallait aller dans le sens de l’enfant, être l’oiseau cherchant à tisser son nid. Être le bourgeon et la racine. Être.« 
– « Ton langage est intérieur. Il refuse de sortir de ta bouche. Il te traverse entièrement d’un bloc, comme une danse qui part de la pointe de tes pieds vers un écho indicible.« 
– « Et si Céline avait tout compris ? À quoi servent les mots, face à celui qui ne veut pas entendre ? Je n’avais pas compris. Pas tout de suite, que c’était sa vie. Sa vie, qu’elle nous prêtait de temps à autre pour nous aider à grandir. Pour nous instruire à la tolérance.« 

POUR ALLER PLUS LOIN
Céline de Ishtar Jaulin, éditions Artliban Calima (Liban).
Pour le commander, envoyez un mail à ishtarjaulin@gmail.com
L’APAM (Association des Parents et Amis des Marronniers) regroupe les parents et les amis d’adultes atteints de troubles autistiques ou de troubles envahissants du développement, afin de proposer des activités artistiques et sportives dans un établissement d’accueil situé à la Cité Jacques Descamps à Bagneux (département des Hauts-de-Seine).

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