L’Atelier Paysan, ou les outils de l’autonomie

L’auto-construction s’inscrit dans la réflexion sur une agriculture responsable. Dans cette démarche, le collectif l’Atelier Paysan organise depuis 7 ans des ateliers participatifs et diffuse gratuitement sur internet des plans libres de droit, pour promouvoir des outils innovants et alternatifs face aux standards de l’agriculture industrielle.
L’Atelier Paysan est né au sein de l’association ADABio, qui œuvre depuis 1984 pour le développement de l’agriculture biologique en région Rhône-Alpes, et fédère tout un réseau de producteurs locaux soucieux de préserver l’environnement et de pérenniser leur sol. Au fil des décennies, l’ADABio s’est transformée en pépinière d’idées et de talents qui ont contribué à développer des techniques et à mettre en place des stratégies communes. De cette structure, presque naturellement, en 2009, un collectif émerge pour encourager l’auto-construction des équipements agricoles.
Montage final d’une butteuse à planches
Julien est aujourd’hui salarié du collectif, qui s’est finalement réuni indépendamment en Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) en 2014. Il explique :
« Il y avait beaucoup d’agriculteurs qui bricolaient autour de nous dans leur ferme, mais toutes ces pratiques étaient isolées. La volonté de diffusion et de partage, par le recensement et la mise en commun des savoirs techniques, a fait naître le projet autour de trois grandes lignes d’action : l’innovation par les usages pour accompagner des groupes de paysans dans la conception d’outils adaptés, la formation, avec la mise en place d’ateliers, et la publication sur le site internet des plans et des tutoriels de tous les outils développés, en open source, sous licences ‘creative commons’, c’est-à-dire libres de brevet et accessibles à tous.«
Dans le paysage agricole en crise, de nombreuses associations contribuent à promouvoir des alternatives à l’agriculture intensive. L’Atelier Paysan s’inscrit dans ce réseau et dans la réflexion globale sur les pratiques agricoles. La mise en évidence des méfaits de la déstructuration du sol par le labour questionne l’outillage au même titre que la culture des engrais verts. Julien insiste : « L’outil est au cœur du débat sur les agricultures responsables, car tout est lié. L’auto-construction permet à la fois d’adapter l’outil au contexte particulier de chaque exploitation et surtout de laisser le choix à l’agriculteur. » Avec l’appui du réseau associatif, aujourd’hui, plus de 600 professionnels ont participé aux ateliers. À raison d’une trentaine par an, ceux-ci se déroulent à travers toute la France et démocratisent le travail des métaux en proposant des initiations de deux jours, ou des formations sur une semaine, pour la fabrication des outils plus conséquents. Julien s’exclame : « À l’inverse de chez Macdo, ne venez pas comme vous êtes, pour vous faire servir ! Les participants sont des usagers, pas des clients. C’est à eux de fabriquer, d’adapter, de réparer, de concevoir, de réfléchir à l’usage, de penser à l’ergonomie, à l’inverse d’un outil standardisé et tout fait« .
Une logique d’innovation et d’autonomie
Sur le site internet, une vingtaine de plans des outils sont mis en ligne avec des tutoriels pour permettre à tous de s’en emparer. Julien le répète : « Les outils proposés sont des bases de travail, ils sont destinés à évoluer, à être adaptés et perfectionnés. » Certains sont encore en phase de prototypage. En soutenant des initiatives très variées, le collectif est ainsi devenu une sorte de vigie qui récolte et diffuse les idées au sein d’une communauté dynamique. Julien témoigne :
« Nous avons toujours eu vocation au recensement des inventions d’ici ou d’ailleurs. Quand le collectif s’est monté, au même moment, aux États-Unis, la plateforme Farmhack d’auto-construction était mise en ligne avec des plans et des photos. Une démarche parallèle à la nôtre mais qui ne s’est pas prolongée en ateliers participatifs. Nous avons aussi proposé des formations au Québec, et profité du voyage pour échanger et apprendre. Dernièrement, nous avons testé pendant un an le ‘néo-bucher’, pour la traction animale, un outil utilisé en Suisse dans les années 50 et oublié ensuite. L’éventail d’outils est très large. Il y a également le triangle d’attelage, qui permet de sécuriser et de faciliter le changement d’outils sur le tracteur. Ce triangle est très utilisé dans les pays nordiques, il s’agit ici de populariser une astuce qui a déjà fait ses preuves. »
Si les outils concernent encore majoritairement le travail du sol, ils couvrent tous les types de culture, du maraîchage à la grande culture, en passant par la viticulture. De plus, depuis un an, un architecte est venu renforcer l’équipe et engage la recherche sur les bâtis, de la serre à l’entrepôt, du stockage à l’étable. Reste une infinité de perspectives d’auto-construction et d’autonomie.
Rencontre avec Clément Fontvieille, maraîcher auto-constructeur
À la ferme de Toussacq, en Seine-et-Marne, Clément Fontvieille, soutenu par les Amapiens d’Île-de-France et l’association Terres de liens, a repris l’exploitation maraîchère de son ancien patron quand celui-ci est parti à la retraite. Depuis cinq ans, il cultive sur six hectares plus d’une quarantaine de variétés de légumes en agriculture biologique. La vente s’écoule en circuit court auprès de trois AMAP franciliennes, de la cantine bio de l’école alternative de la Neuville, et parfois, pour les surplus, aux Biocoop de Provins et de Sens.
Au cours de trois stages de l’Atelier Paysan, Clément a fabriqué une butteuse, un vibroplanche et un cultibutte, un triptyque complémentaire inventé par le Collectif pour travailler la terre et préserver les sols.
Comment avez-vous connu l’Atelier Paysan ?
En m’installant à mon compte, en 2011, certains outils me manquaient. Je devais les emprunter et aller les chercher chez un autre agriculteur. J’ai connu l’Atelier Paysan sur internet, et j’ai tout de suite adhéré à la démarche d’auto-construction. Les outils répondaient également à mes problématiques en matière d’équipement pour la préparation des sols. En maraîchage, il existe un modèle type d’outils pour travailler les planches, c’est le duo Actisol et Cultirateau. Ces outils décompactent la terre et, visuellement, forment de très belles planches, mais le mécanisme rotatif s’avère très déstructurant pour le sol. Les outils de l’Atelier Paysan sont conçus, eux, à dents, et proposent une alternative. Ils préparent le sol de manière moins agressive, sans le retourner. C’est ce qui m’a décidé à participer.
Quels outils avez-vous fabriqués ?
J’ai réalisé un premier stage en 2012, pour construire la butteuse dans le Jura. Les buttes sont travaillées à l’automne pour permettre à la terre de ressuyer plus vite à la fin de l’hiver. Le stage se déroule sur une semaine intensive, nous partons du métal à découper et à souder. Collectivement nous arrivons ainsi à construire 6 à 8 outils. Les participants sont tous très motivés. L’année suivante, j’ai renouvelé l’expérience, en construisant le vibroplanche, en Seine-et-Marne, un outil qui sert à émietter plus finement la terre pour installer les semis. Puis l’année d’après, c’est Pascale, ma salariée, qui a profité elle-aussi du stage en construisant le cultibutte, pour décompacter le sol des buttes à la sortie de l’hiver. En réalité, c’est la situation (la météo, l’état du sol, le type de culture) qui détermine toujours l’utilisation de l’outil. En revanche, l’avantage de ce triptyque d’outils, c’est qu’il permet de travailler les planches toujours au même endroit, sans tout défaire d’une année sur l’autre. On ne cultive plus là où les roues du tracteur ont pu tasser le sol les années précédentes. Les allées entre les planches de culture deviennent permanentes. Cultiver toujours au même endroit est une contrainte pour un paysan, mais développer des techniques qui permettent de produire sans épuiser la terre, entretenir sa fertilité et sa structure, est une garantie pour l’avenir. En plus, c’est stimulant car on n’a jamais fini d’apprendre de sa terre.
Cultibutte
Auriez-vous besoin d’autres outils ?
J’ai déjà les outils dont j’ai besoin et j’en suis très satisfait, même s’il y a toujours des transformations à mettre en œuvre. Certaines ont déjà été inventées sur les plans de l’Atelier Paysan. Les outils évoluent sans cesse. Par exemple, je pourrais mettre en place des cages pour émietter plus finement sur le vibroplanche, ou ajouter un système pour empêcher la propulsion de la terre, sur mes autres outils. Au sein du collectif, il y a des personnes à la créativité plus ingénieuse que les autres et tout le monde en profite, car toutes les connaissances sont mises en commun. Avec la pratique et l’expérience, des idées germent et, même si une soudure a été mal faite et qu’il faut la refaire, nous avons été formés pour ça. Les stages apprennent les moyens de fabriquer par nous-même, c’est la clé de l’indépendance. Dans l’idéal, pour préserver les sols, il ne faudrait pas passer d’outil du tout. On s’accommode, en adaptant des outils qui permettent de mieux respecter le sol tout en facilitant le travail du paysan et en améliorant la production.
PLUS D’INFOS :
L’Atelier Paysan : www.latelierpaysan.org
Association ADABio : www.corabio.org
Farmhack : farmhack.org/tools