La Maison des Babayagas… ou l’art de bien vieillir
C’est l’histoire de trois amies bien décidées à prendre en main leur vieillesse. Avec une idée aussi simple que révolutionnaire : créer la première résidence «autogérée», écologique et solidaire pour femmes âgées et engagées.
Par Emmanuel Thévenon
La maison de retraite ? «C’est mortel, juge Suzanne Goueffic, jolie vieille dame aux cheveux gris. Nous n’avons pas envie de passer notre journée à attendre les plateaux-repas, l’heure de la télévision, la piqûre… et puis la fin.» Tout comme ses complices de longue date, Thérèse Clerc et Monique Bragard, Suzanne ne veut pas pour autant vieillir seule à domicile. «J’ai dû m’occuper de ma mère, malade et grabataire, pendant cinq ans, témoigne Thérèse. C’était extrêmement lourd à porter et je me suis dit que je ne pouvais pas imposer ce poids à mes enfants.»
Entre la solitude à domicile et le placement en maison de retraite traditionnelle, ces trois septuagénaires pétillantes et drôles ont décidé de prendre leur destin en main. Elles veulent jouir de cet âge à leurs yeux délicieux, où l’on n’a plus rien à prouver et où l’on est devenu sujet de sa propre existence.
Leur philosophie ? «Vieillir le mieux possible ensemble, en se donnant la main jusqu’au bout .» Pour y parvenir, elles se sont lancées dans un projet fou : construire «la Maison des Babayagas». Avec, à la clé, un «projet de vie» assez riche pour satisfaire leurs aspirations individuelles aussi bien que collectives.
Imaginée en 1997 par Thérèse Clerc, le concept n’a réellement pris corps qu’en 2003, après le drame de la canicule, qui a emporté prématurément 15 000 vieillards en France. La mairie de Montreuil, en Seine-Saint-Denis, leur attribue alors un terrain en centre ville. L’immeuble, construit et géré par l’office HLM de la ville, devrait sortir de terre en 2007. Il sera bâti avec des matériaux écologiques et sera pourvu de panneaux solaires pour l’eau chaude sanitaire. Les douches seront réglées pour une durée limitée, afin de ne pas gaspiller l’eau. L’ensemble comprendra une vingtaine de studios autonomes, d’environ 35 m2 chacun. Des pièces collectives sont également prévues : cafétéria, laverie, salle de gymnastique, atelier artistique, spa…
LES VIEUX, AVANT-GARDE ÉCLAIRÉE ? *
« Vieillir, un naufrage? Nos vieux corps ont été si insidieusement “normés” pour et par la production et la reproduction marchande, que nous acceptons sans révolte le second âge ingrat, celui qui ne suscite plus le désir et pas encore la pitié… Pourquoi nous censurer, nous refuser la gratuité de l’échange dans la tendresse, les retrouvailles de nos cinq sens? Il n’est de morale que dans les plaisirs partagés ! Allons, camarades, il est temps encore, retroussons au moins nos manches!
Aux armes, citoyennes! Celles du vivre en terme de service et non de pouvoir, d’être pleinement ce qu’on peut être, de créer de la vie partout et toujours, de remettre en question la pulsion de mort si chère à nos sociétés patriarcales, de changer la civilisation du mépris en civilisation du regard, armes de paix, graines du futur. Mais pourquoi cette utopie humaniste serait-elle seulement l’apanage des vieux? Serions-nous l’avant-garde éclairée? »
* Extrait d’un texte publié en 1999, de Thérèse Clerc, directrice de la Maison des Femmes de Montreuil et cofondatrice de la Maison des Babayagas.
Contact : Association les Babayagas, 1, rue Hoche, 93100 Montreuil – Courriel : lesbabayagas@club-internet.fr
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