Casoar et dendrobate, les parents déglingos

C’est la rentrée ! Les enfants s’agitent, les parents aussi. Il faut rassurer, anticiper, nourrir sainement, recaler les rythmes, préparer le cartable, donner à lire le monde, écouter et débattre. Tous les parents sont différents, et parfois, les plus improbables sont les plus attentionnés.

Dans le rôle du papa punk, connaissez-vous le casoar ?
Drôle d’oiseau celui-là. Il ne vole pas. Le casoar serait le volatile le plus redoutable du monde, c’est pourtant un sacré papa poule. Imprévisible, il court vite, aussi vite qu’une mobylette, il est aussi grand qu’un homme et possède des griffes tranchantes de 12 cm, avec lesquelles il blesse à mort ses adversaires en bondissant comme un ninja. Et quelle trogne ! Un long cou de peau fripée et bleue duquel pendouillent mollement deux caroncules de chair rouge. Des yeux noirs, une nuque verdâtre et un casque de Hell’s Angel. Punk et motard. Et par tous les temps, il porte un manteau de plumes noires et rêches comme une grosse masse de cheveux hirsutes. Vous ne le croiserez pas souvent. Dans sa forêt tropicale humide, il se fait discret. Dangereux, il l’est probablement, mais les chiffres devraient vous rassurer, la foudre tue un million de fois plus souvent nos concitoyens que papa punk.
Il aime les fruits. Quand son jardin le permet, papa punk prépare des festins avec 240 espèces de plantes différentes. En chemin, il jardine la forêt en dispersant leurs graines dans ses longues promenades digestives. Si cette créature est territoriale, c’est parce qu’elle tient à son verger. Chez les casoars, les femelles dominent. Elles sont polyandres. C’est la version féminine de polygame : Madame choisit son harem. Et quand un mâle croise la route d’une femelle, il fait la révérence. Après l’accouplement, elle reste un peu pour surveiller les travaux d’aménagement du nid dont il s’occupe. Il terrasse le sol, dessine une cuvette et en tapisse le fond de feuilles tendres. Madame pond trois à cinq œufs, grands et verts. Et part directement s’encanailler avec un autre punk. La maternité, c’est le rôle de papa Casoar.
Le gros dur à la peau bleue couve seul pendant 50 jours ses futurs rejetons. Il ne s’éloigne pas et reste en alerte jour et nuit. Dès l’éclosion, les jeunes oisillons développent pour leur père un lien très fort. On parle d’imprégnation ou d’empreinte. Ce mécanisme, présent chez de nombreuses espèces, permet aux jeunes casoars d’acquérir rapidement et pour longtemps des caractéristiques qui orientent leur futur comportement. Lourde responsabilité parentale pour papa punk : donner l’exemple. Et le voilà suivi par ses poussins comme une maman canard pendant un an. Le punk est patient, c’est un amour avec ses enfants.

Dans les forêts tropicales humides du Costa Rica, vivent de toutes petites grenouilles aux couleurs fluos : les dendrobates. J’adore ces mamans rocks. Souvenez-vous, j’avais déjà évoqué la grenouille fraise en février. Rouge comme le fruit, elle a des yeux proéminents, noirs et brillants, le museau pointu et des petites verrues sombres sur tout le corps. Cette maman-là est minuscule mais redoutable. Sa peau est hyper toxique. Maman est une superbe empoisonneuse. La plupart ont les pattes antérieures bleues et on dirait qu’elles portent un jeans par provocation. On les a baptisées Pumilio blue jeans. Rock et rebelle.
C’est à mes yeux, pourtant, l’une des mamans les plus attentionnées du monde glissant des amphibiens. Jugez plutôt.
Elle s’implique avant même que ses têtards ne viennent au monde. Elle choisit un partenaire fort, grand et en bonne santé. Il doit participer aux soins parentaux, alors inutile de tomber sur un paresseux ou un frimeur. En écoutant les chants des mâles, elle estime tout leur po- tentiel. Après le casting, elle élimine ses concurrentes. La grenouille fraise devient catcheuse. Elle se dresse sur ses pattes et gonfle sa gorge dans une attitude agres- sive. Et quand une starlette tente le flirt, elles se crêpent le chignon. Maman rock la toise, lui tourne autour, saute sur son dos, l’encercle avec ses pattes antérieures et la serre de toutes ses forces en la plaquant au sol. Jusqu’à l’abandon de la tentatrice. Rock, rebelle et catcheuse. Après l’accouplement, elle choisit le lieu de ponte avec son amant. Il a son mot à dire, c’est lui qui va veiller sur les œufs jour et nuit. Il chasse les curieux et asperge les œufs quand le milieu s’assèche. Pendant ce temps, ma- man prospecte et cartographie la jungle. Elle cherche de belles broméliacées pour aménager des chambres à têtards. Ces plantes ont un feuillage coriace qui cueille la pluie dans une cuvette naturelle idéale et à bonne température. Maman pose des options et rentre juste à temps pour l’éclosion des œufs. Et prend le relais. Dès l’aube, elle charge ses têtards sur son tout petit dos et les installe dans les plantes réservées. Elle enchaîne avec la livraison des plateaux repas dans toute la forêt. Maman rock a une mémoire d’éléphant. Chaque têtard reçoit un œuf par jour pendant six longues semaines. Les œufs non fécondés sont nourrissants, naturels, fa- ciles à cuisiner et… empoisonnés. En les habituant dès la tendre enfance au poison, elle s’assure que ses bébés deviennent aussi toxiques qu’elle. Voilà une assurance vie efficace quand le danger est de se faire manger. Plus grands, ses enfants croqueront, comme elle, des acariens et des fourmis remplis de venin. Être toxique, ça s’entretient.

Dans le monde animal, se laisser abuser par l’apparence des parents est ridicule. Maman ours est tendre avec ses oursons et les éléphants s’entraident avec délicatesse au chevet des plus jeunes. Saviez-vous aussi que maman perce-oreille dorlote ses bébés pendant des mois ? L’affreux crocodile est une mère exemplaire, alors que la sage tortue abandonne ses petits sur la plage aux becs des oiseaux. Les araignées allaitent leurs nouveau-nés et les cachalots, comme Moby Dick, enseignent à leurs enfants une merveilleuse grammaire des caresses.
Quel parent serez-vous cette année ?