L’irradiation des aliments et des compléments alimentaires

En 1957, Henri-Charles Geffroy, pionnier de l’alimentation saine, déclarait que « plus le progrès se développe dans les pays dits « civilisés », plus les aliments s’éloignent de l’état naturel ». Illustration de son propos avec l’irradiation des aliments, un procédé de conservation qui a justement pris son essor dans les années 1950.

Plus d’un demi-siècle plus tard, le succès du traitement par « rayonnements ionisants » des aliments ne se dément pas, sauf qu’il continue à se faire en catimini, y compris en France où 1 kg d’aliment est irradié toutes les 4 secondes. Sans danger pour la santé humaine et animale ?

Une étrange histoire de chats et de rayons gamma

Australie, 2008 : dans la région de Newcastle, grande ville côtière située au nord de Sydney, un mal mystérieux frappe des dizaines de chats. Leur démarche change et ils éprouvent des difficultés à sauter et même à manger, d’où une perte de poids. Nombre d’entre eux deviennent paralysés des pattes arrière !

Déterminée à résoudre l’énigme, la vétérinaire Georgina Child découvre alors un dénominateur commun à tous ces chats : ils consommaient depuis un certain temps la même nourriture, à savoir des croquettes de la marque Orijen. Il s’agit d’un produit plutôt haut de gamme fabriqué au Canada à partir d’ingrédients frais, notamment à partir de viande fraîche. Cependant, les premières analyses ne révèlent la présence d’aucune toxine. Le problème vient donc d’ailleurs…

Le fabricant d’Orijen exporte sa nourriture pour chat dans 50 pays, dont l’Australie depuis quelque temps. Et parmi ces 50 pays, seule l’Australie exige que les croquettes Orijen soient irradiées à leur arrivée par une entreprise locale. Pourquoi cette exigence ? Parce que, contrairement à la grande majorité des autres marques de croquettes, Orijen est préparé à partir de viande fraîche ou cuite à très faible température. Les palettes de croquettes Orijen ont donc subi un « bombardement » par rayonnement gamma !

Inutile de vous dire que la révélation de cette « pratique » n’est pas passée inaperçue auprès du grand public. Le retentissement a été tel que le gouvernement australien a décidé d’interdire l’irradiation de la nourriture pour chat – tandis qu’elle restait autorisée pour celle des autres animaux !

Les échantillons de croquettes irradiés rapatriés d’Australie avaient une « odeur étrange », selon le fabricant canadien. En Australie, le responsable de l’usine d’irradiation a évoqué un « accident malencontreux ». De quelle nature ? On ne sait pas. En tout cas, une chose est sûre : en Australie, on n’hésite pas à utiliser des doses « fortes » pour irradier la nourriture pour animaux (50-61 kGy) (1), soit des doses largement supérieures à celles que l’on s’autorise à appliquer aux aliments… destinés aux êtres humains (1-10 kGy) ! Car, oui, les aliments irradiés ne sont pas uniquement réservés à nos amies les bêtes ! On estime que 3 % des aliments que nous consommons sont irradiés – ou plutôt « ionisés » pour employer la terminologie officielle.

Le point sur l’irradiation des aliments

L’irradiation des aliments est une méthode de conservation et de décontamination qui consiste à soumettre les aliments à un rayonnement ionisant : rayons gamma, rayons X ou faisceaux d’électrons à très haute énergie. Le bombardement par rayonnement gamma est le procédé le plus employé.

En France, il existe 5 usines d’irradiation, dont 4 appartiennent au groupe Ionisos. Les aliments ne sont pas les seuls produits irradiés. On traite aussi par rayonnements ionisants les dispositifs médicaux, les matières premières et les produits finis pour l’industrie cosmétique et pharmaceutique, les matériaux d’emballage des aliments, etc.

Pour en revenir aux aliments, les objectifs de l’irradiation sont :

  • de prolonger la durée de conservation des produits en ralentissant le mûrissement et en inhibant la germination ;
  • d’assurer la décontamination des produits en éliminant les micro-organismes pathogènes et les insectes.

En revanche, les doses appliquées ne sont pas suffisantes pour détruire les virus et inactiver les toxines/mycotoxines libérées par les bactéries et les champignons.

À ce stade, une précision d’importance s’impose : les aliments traités par irradiation ne sont pas radioactifs. D’abord, ils n’entrent jamais en contact avec la source radioactive. Ensuite, l’énergie des rayonnements utilisés n’est pas suffisante pour provoquer une contamination radioactive.

Par contre, l’irradiation bouleverse la structure intime des aliments. Elle entraîne :

  • la destruction des vitamines, les plus touchées étant les vitamines A, B1, C et E (à titre d’exemple, ce procédé peut détruire jusqu’à 80 % de la vitamine A contenue dans les œufs ou 48 % du bêta-carotène contenu dans le jus d’orange) ;
  • la production de radicaux libres tels que le peroxyde d’hydrogène, qui n’est autre que l’ »eau oxygénée » dont on se sert pour désinfecter les plaies ;
  • la formation de composés qui n’existent pas à l’état naturel, en particulier les alkylcyclobutanones, potentiellement cancérigènes.

Des réactions chimiques peuvent aussi se produire dans certains matériaux d’emballage irradiés, notamment ceux en plastique, faisant courir le risque d’une migration des produits de dégradations dans les aliments.

Bref, il semble légitime de s’inquiéter de l’innocuité des aliments irradiés, sauf que le débat est définitivement clos depuis 1980, date à laquelle l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AEIA), ont conclu une bonne fois pour toutes que l’irradiation de toute denrée alimentaire était sans danger. En conséquence de quoi « l’examen toxicologique des aliments ainsi traités n’est plus nécessaire ». Un avis pour le moins tranché qui n’a manifestement pas résisté au temps puisque la découverte des alkylcyclobutanones, cités un peu plus haut, ne date que du début des années 2000…

Comment puis-je savoir si un aliment a été irradié ?

Pas évident, de prime abord, car l’irradiation ne change à priori ni l’aspect, ni la texture, ni l’odeur, ni le goût des aliments. Il existe bien un logo distinctif internationalement reconnu, le « Radura », que l’on appose sur les emballages des produits irradiés mais, curieusement, son emploi reste « facultatif » en France… alors qu’au sein de l’Union Européenne, la France est le pays le plus permissif en matière d’irradiation des aliments !

À défaut de logo, ne reste plus qu’à se munir d’une paire de lunettes, voire d’une loupe, pour inspecter les étiquettes qui, en cas d’irradiation des produits, doivent mentionner : « traité par rayonnements ionisants » ou « traité par ionisation ». Quant aux aliments en vrac, ils doivent être accompagnés d’un écriteau comportant les mêmes mentions. En revanche, les matières premières ou ingrédients irradiés sont rarement indiqués et difficilement repérables dans les plats préparés.

Comment éliminer les aliments irradiés de mon assiette ?

La solution la plus efficace consiste à manger BIO. En effet, le traitement par irradiation est INTERDIT pour tous les produits issus de l’agriculture biologique, y compris les aliments pour animaux ! À défaut de manger bio, devenez « locavore », autrement dit faites le choix de ne vous nourrir qu’avec des aliments frais et de saison ayant été produits localement (2).

Et les compléments alimentaires ?

Théoriquement, l’irradiation des compléments alimentaires est interdite. Néanmoins, même s’ils sont quelque peu anciens, les chiffres officiels dont on dispose sont loin d’être rassurants : en 2001, au Royaume-Uni, les autorités ont découvert que 42 % de certains compléments alimentaires commercialisés étaient irradiés (ail, alfalfa, aloe vera, curcuma, gingembre, ginkgo biloba, ginseng, griffe de chat, griffe du diable, guarana, palmier nain, kava kava, silymarine). En 2002, des contrôles effectués par le Royaume-Uni, l’Irlande, l’Allemagne et les Pays-Bas ont révélé que 29,4 % des échantillons de compléments alimentaires testés avaient été irradiés. En 2003, sous la pression de la Commission européenne, on est passé de 29,4 à 16 %.

Et aujourd’hui, qu’en est-il ? À défaut de le savoir exactement, je ne peux que vous inciter à privilégier les compléments alimentaires formulés autour d’ingrédients « bio », le cahier des charges de l’agriculture biologique interdisant l’irradiation des aliments. Ail, curcuma, gingembre, safran et champignons constituent quelques-uns des ingrédients pour lesquels le choix du bio doit s’imposer, surtout si la société ayant recours à ces ingrédients est dans l’incapacité de vous fournir un certificat de non irradiation.

Liste des produits pouvant être légalement irradiés en France

Par ordre alphabétique : abats de volaille, ail, blanc d’œuf, caséine et caséinate, condiments végétaux, crevettes congelées décortiquées et étêtées, cuisses de grenouille congelées, échalotes, épices, farine de riz, flocons et germes de céréales pour produits laitiers, gomme arabique, herbes aromatiques séchées, herbes aromatiques surgelées, légumes et fruits secs, oignons, plasma, sang séché, viande de volailles, viande de volailles séparées mécaniquement.

Curieusement, la liste des produits agroalimentaires autorisés à l’irradiation en France apparaissant sur le site de Ionisos est plus fournie puisqu’on y trouve aussi les aliments pour animaux de laboratoire (3), le camembert au lait cru, les emballages « Bag in box », les fraises et les légumes déshydratés. Leur liste précise également que les fruits secs autorisés à l’irradiation sont les abricots, les figues, les raisins et les dattes.


Notes :
(1) La dose s’exprime en Gray (Gy). 50 kGy = 50 kilogray.
(2) « Par le simple fait qu’elle prolonge la durée de vie des aliments et qu’elle utilise des installations centralisées, l’irradiation risque d’accélérer le processus de mondialisation et de concentration de la production, de la distribution et de la vente des produits alimentaires entre les mains de quelques multinationales. » (Public Citizen, association de défense des consommateurs américains). Pour info, sachez qu’aux États-Unis, 100 millions de tonnes d’aliments sont irradiées chaque année, soit 300 kg par habitant et par an !
(3) Fortement irradiés, soit dit en passant : (25-40 kGy) !

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