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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

De la philosophie pour une bonne éducation

Mes premiers moutons - Épisode 4

Contrairement aux idées reçues, les moutons ne sont pas idiots. Mes deux brebis ne manquent de rien, mais les événements m'ont conduite à approfondir la question de leur éducation.

Bianca et Ella, mes deux brebis, ont maintenant six mois. Rondes et douillettes, elles dandinent leur silhouette de laine pour demander des caresses aux inconnus. « Mignonnes, gentilles, pas farouches et câlines », tout le monde s’étonne. Elles me suivent partout, et accourent comme des chiens dès qu’elles m’aperçoivent ou entendent ma voix. Leur personnalité s’est affirmée, des caractères bien distincts que j’ai appris à reconnaître.
Bianca la noire, la plus craintive, porte bien son nom de Castafiore, et bêle à tue-tête au moindre problème, en sentinelle, c’est-à-dire le plus souvent pour m’avertir des évasions ou des bêtises de sa cousine, Ella, la brune, une vraie chèvre de Monsieur Seguin, toujours prête à s’enfuir pour brouter l’herbe d’à côté (forcément plus appétissante), ou pour venir me chercher à l’intérieur de la maison. J’aime mes brebis, mais je vous laisse imaginer la pagaille, lorsqu’elles s’incrustent dans le salon.

Une révision du système de clôture

Trop optimiste et sans doute trop économe, ignorant l’intelligence d’un mouton têtu et décidé à sortir de son parc, j’ai dû revoir mon système de clôture. J’avais ainsi choisi des filets électriques pour pouvoir déplacer les brebis dans le jardin. Une fois, Ella s’est pris les pieds dedans. Heureusement, l’électricité était coupée, j’étais là et Bianca m’a appelée immédiatement.
Après cette frayeur, j’ai donc réinvesti dans des filets pour chèvre, (90 € les 50 m), un peu plus hauts et, surtout, dont les fils verticaux sont en plastique rigide, ce qui leur donne une meilleure tenue. Moyennant quoi, j’arrive dorénavant à contenir les brebis, mais j’aimerais surtout leur faire comprendre le principe des déplacements et du respect des clôtures.

Une éducation par la nourriture

Alexandre le berger est passé les voir. Il venait de se livrer à la pesée des agneaux de son troupeau. Son plus gros atteint les 35 kg. En comparaison, Bianca fait 39 kg et Ella 41 kg. Il a constaté qu’elles ne manquaient pas de nourriture, mais quand je lui ai parlé des problèmes que me causait Ella, il a ri, tout en me mettant en garde au niveau de l’éducation, pour leur sécurité et ma tranquillité.
En dehors d’un troupeau, deux brebis isolées développent des comportements différents et, si elles sont trop gâtées, elles prennent de mauvaises habitudes.

On dit par exemple « bête à manger du foin ». Sauf en cas d’extrême limite vers la fin de l’hiver, lorsqu’il n’y a plus rien à manger, les brebis doivent toujours se nourrir par elles-mêmes et ne pas s’habituer à être nourries.

Si elles perdent un peu de poids durant la morte saison, dans la limite du raisonnable, il s’agit d’un phénomène tout à fait naturel. Quand tu observes les brebis, tu t’aperçois qu’au fil des mois, elles s’intéressent à différents types de plantes. Jamais un mouton ne mangera une ortie au printemps, par exemple, mais à la fin de l’été ou à l’automne, en fin de floraison, il s’y attaquera finalement » explique Alexandre qui ajoute : « Le pâturage favorise le pâturage, la brebis s’intègre dans un cycle biologique qui amène à reproduire dans la prairie une diversité dont elles ont besoin, en fertilisant et en ressemant les graines de ce qu’elles mangent. Un trop grand apport de foin risque de sur-amender un pré, au détriment d’autres plantes et créer ainsi des carences. »

Néanmoins, c’est au berger d’indiquer les zones à pâturer, en pleine montagne comme dans un jardin, l’hiver, où chaque brin d’herbe compte. Alexandre me propose de faire des exercices, en amenant les brebis une demi-heure dans une zone de sous-bois où il y a du lierre, satisfaire leur gourmandise, puis imposer le moment de rentrer au parc. Un exercice difficile pour lequel j’ai encore besoin de ma bassine rose.

De la psychologie des brebis

Pour mes deux agnelles, j’ai été une mère de substitution, je suis un repère, et j’aimerais devenir leur bergère, c’est-à-dire développer une communication entre nous qui les amène à m’obéir, à respecter mes commandements dans la compréhension de leur propre intérêt. En un mot, approfondir nos rapports sur le terrain psychologique.
À cette idée, Alexandre a les yeux qui brillent, tout l’art d’être berger s’acquiert dans la patience et le développement de ses propres stratégies vis-à-vis du troupeau. Si je veux à mon tour empêcher mes brebis de devenir comme des enfants gâtées et habituées à ne rien faire par elles-mêmes, c’est à moi seule d’apprendre comment, en inventant des techniques individualisées à ma situation.

Dans la bibliothèque du berger

Alexandre ne peut me transmettre toute son expérience, un berger est un sage qui apprend toujours à apprendre. Il m’indique plutôt des lectures :
Le Journal d’un berger nomade de Pascal Wick, un livre extraordinaire, une somme de toute une vie qui conduit jusqu’aux confins des Rocheuses dans le Montana, où le berger et ses chiens doivent composer avec les loups, les coyotes et surtout les grizzlis.
La nature sauvage qui revit sous cette plume et dans les grands espaces américains interroge en miroir nos territoires civilisés, domestiqués jusque dans nos conceptions de « réserve naturelle », un phénomène de ghettoïsation, que François Terrasson (1939-2006), dénonçait dans son essai La peur de la nature, rédigé en 1988. Dans ce livre, ce naturaliste philosophe et psychologue fait le point sur « les vraies causes de la destruction de la nature, au plus profond de notre inconscient ». Toujours d’actualité, l’essai analyse le rapport que nous entretenons avec la nature, appelant à s’affranchir de l’esprit de domination qui l’emporte aujourd’hui, à la fois dans les stratégies de remembrement des terrains agricoles, ou dans la création de zones protégées.
Plus pratique enfin, un merveilleux petit livre, très récent, Composer avec les moutons – lorsque des brebis apprennent à leurs bergers à leur apprendre –, délicieusement écrit par la philosophe Vinciane Despret et Michel Meuret, un directeur de recherche de l’INRA, qui se parcourt comme un manuel d’éducation, rassemblant le témoignage de nombreux bergers. Avec Ella et Bianca, j’applique peu à peu la philosophie d’un apprivoisement mutuel, et je ne désespère pas que cet hiver nous puissions aller au lierre, sans stress ni bassine rose.

À lire : 

Ces ouvrages qui abordent les champs de l’humain intéressent aussi directement le monde pastoral, car ils peuvent apporter des réponses à des interrogations et inquiétudes actuelles. C’est entre autres pour faire écho au besoin exprimé par les pastoralistes que j’ai fait traduire en français Le Troupeau, paru en 1906, sur la migration des bergers basques et alpins en Californie, écrit par Mary Austin, une écrivaine américaine amie de Jack London. Le petit dernier, Le berger Jean Veymont, conteur indigné, est un livre de conte, poésie, textes libres et hybrides, écrit par le berger Patrice Marie, qui organise des soirées conte en hiver accompagné par des musiciens. Patrice Marie se situe diamétralement à l’opposé de l’image d’Épinal du conteur, il exprime sa colère, son indignation et ses propres inquiétudes, sans mâcher ses mots, avec un humour corrosif et une amertume qui donnent une idée de ce que peuvent ressentir les bergers sur le terrain.


Éditions Cardère :
www.cardere.fr

 

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