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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

Des nouvelles de l’association Défi Laine

La belle aventure se poursuit !

L’an dernier à la même époque, je vous présentais le projet de notre association Défi laine basée en Seine-et-Marne, créée à la fin de l’année 2017 pour lutter contre le gâchis de la laine et pour la valorisation des toisons des troupeaux locaux. Que de chemin parcouru en une année !
Il fallait que je vous raconte.

Avant de fonder notre association, nous nous sommes rencontrées lors des transhumances d’Alexandre Faucher, le berger engagé par l’ONF depuis 2015 pour pâturer et entretenir les espaces ouverts de la forêt de Fontainebleau. Audrey Garcia, notre présidente, travaillait pour l’Association des naturalistes de la vallée du Loing (ANVL). Botaniste et entomologiste passionnée, elle connaissait Cécile Hignard, notre trésorière, assistante ingénieur rattachée à l’université Paris-Diderot, dont les border collies entraînés aux troupeaux viennent parfois en renfort lors des transhumances. Ces deux scientifiques engagées sur les questions de l’environnement, expertes dans les chants des oiseaux, la vie des insectes et des autres animaux sont des mines de savoir. Quant à moi, je suis la candide de l’histoire. La fraîche rurbaine débarquée de la capitale avec un enthousiasme un peu aveugle, mais nécessaire, sans quoi personne ne ferait rien. Je partais de loin, mais avec la nature, l’émerveillement ne s’arrête jamais. C’est en achetant deux brebis pour tondre mon jardin que j’ai mis le pied dans le troupeau.

Rencontre avec la matière

Tout a commencé presque de manière inconsciente. En cheminant dans les zones pâturées par les brebis, nous récupérions la laine dans les épines des prunelliers ou sur les arbres à gratter préférés du troupeau. Des échantillons de poils longs ou courts, raides ou frisés, de toutes les textures avec des nuances du noir au blanc, en gammes de bruns, de gris et de beiges. Cette laine légère et grasse que nous lissions dans nos doigts finissait en boule au fond de nos poches pour réapparaître au moment où la balade conduisait autour d’un verre. À force de toucher la laine, on se fascine pour la matière, perplexe à l’idée que ces toisons brutes et irrégulières peuvent donner un pull-over. C’est cette chaîne de transformation qu’il faut d’abord mentalement reconstruire. La profusion des fibres animales, végétales et synthétiques a brouillé les esprits et fait perdre de vue les conditions des productions et les propriétés de chaque matière. Là où le passant verra dans le troupeau un tas de laine, l’expert détaillera les qualités de laines destinées au feutre ou au filage, à la confection ou au rembourrage de matelas. Ainsi les laines utilisées pour le tricot sont les plus douces, comme le Mérinos, produit massivement en Chine, en Australie et en Nouvelle-Zélande. La laine mohair ou le cachemire sont des laines de chèvres.

Qu’on ne s’y trompe pas, l’industrie de la laine est en expansion. En 2018, sur les cours mondiaux, le prix d’1 kilo de laine brute de Mérinos atteignait les 11,50 € en Australie. Mais la productivité commande de grandes exploitations spécialisées et dévalorise « les laines de pays » comme celle du troupeau de notre berger Alexandre, aux qualités trop hétérogènes pour les standards industriels. Avant la création de notre association, le berger avait réussi à vendre pour près de 160 kilos de laine brute à un négociant pour seulement 50 €, soit moins de 50 centimes du kilo. En règle générale, on considère que 50 centimes est le prix minimum de la laine car il correspond à sa valeur en engrais. Cette course au rendement pose aussi de nombreuses questions sur l’exploitation et le traitement des animaux et, plus généralement, sur l’élevage industriel. L’engagement de notre association pour valoriser cette laine de proximité passe par le soutien aux éleveurs locaux dans une démarche solidaire et bio-responsable. Les brebis de Fontainebleau vivent en plein air, elles évoluent dans des zones de broussailles et amoncellent beaucoup de débris végétaux. Le berger ne leur donne aucun granulé ou complément alimentaire, même à l’automne et en hiver, quand il doit quitter la forêt et s’arranger avec les agriculteurs locaux pour trouver les parcelles de couvert et nourrir son troupeau. Les toisons témoignent des aléas de la météo, de l’alimentation des bêtes ainsi que des conditions d’agnelage. Nous réfléchissons d’ailleurs à la mise en place d’une charte éthique si d’aventure nous avions à travailler avec la laine d’autres éleveurs, notamment au sujet de l’impact de certains traitements vétérinaires antiparasitaires sur l’environnement. De l’importance du rapport direct pour connaître son berger.

Le troupeau a beaucoup évolué : de quelque 200 brebis en 2016, il en compte aujourd’hui deux fois plus. Aux Solognotes et aux Suffolks de départ sont venues s’ajouter des Limousines qui, à terme, seront dominantes puisque tous les béliers sont dorénavant limousins. Un lot de 70 brebis laitières, de race Thônes et Marthod et de race corse, complète le portrait. Suivre au fil des années l’évolution de ce troupeau donne accès au métier d’Alexandre, confronté aux problématiques concrètes du territoire. Avec l’association, nous nous sommes engagées à racheter la totalité de sa laine au prix minimum de celui de la tonte qui s’est déroulée à la fin du mois de juin 2018, et qui a représenté un coût de près de 600 euros pour les quelque 300 brebis du troupeau. Une opération financée grâce à nos 24 adhérents et à la vente d’objets feutrés que nous avions confectionnés.

Des laines à trier

Le jour de la tonte, c’est aussi le moment du tri de la laine. Cette opération nécessite tout un savoir-faire. Elle consiste à récupérer, trier et rouler la toison juste derrière le tondeur en suivant son rythme. Nous ne sommes pas des professionnelles et nous nous lançons avec les moyens du bord en organisant un espace à côté du tondeur, pour trier les toisons par races, par couleurs, en enlevant toutes les parties crottées ou trop abîmées, ne gardant strictement que ce qui nous semble valorisable. Pendant deux jours, amis et adhérents sont venus nous prêter main forte. Nous nous retrouvons avec plus de 250 kilos de laine brute. Près de 100 kilos crottés sont destinés au paillage. Nous en avons donné une partie à un maraîcher bio du coin, pour qu’il réalise un test de paillage des oignons, ainsi qu’à l’association Agrof’île pour permettre des études scientifiques sur le paillage des arbres dans ses missions d’agroforesterie. Avec le reste, nous remplissons nos garages, nos caves, nos greniers. Le vrai défi commence.

Des enjeux collectifs

À la maison, dans nos baignoires et nos bassines, avec nos savons et nos papiers bulles, nos brosses à chien et nos aiguilles à feutrer, nous faisons des expériences. Internet est une mine pour s’initier avec les autres, sur les blogs et les plateformes vidéo. Mais notre bonne volonté se heurte aussi à la réalité. L’effort individuel devient dérisoire au regard du travail qu’il nous faut pour chaque toison. Même si notre présidente nous prête gentiment sa cardeuse manuelle personnelle pour faire nos premiers rouleaux, nous nous mettons en recherche d’équipement. Une adhérente nous a même offert une cardeuse-ouvreuse manuelle à balancier qu’elle avait trouvée dans un vide-grenier. De notre côté, nous avons pu racheter la cardeuse-ouvreuse électrique d’un ancien tapissier qui dormait dans une maison du voisinage. Écologiquement se pose pourtant très vite la question de la dépense en eau et en énergie pour chaque kilo de laine brute. Il serait déraisonnable et contradictoire de laver toute la laine dans nos marmites.

Heureusement, nous ne sommes pas seules. Si les troupeaux ont longtemps déserté l’Île-de-France et avec eux les ateliers de laverie et de filature, de nouveaux types d’élevage s’étendent depuis une dizaine d’années dans la région, dynamisés par les pratiques d’éco-pâturage en entreprise ou chez des particuliers. Ce sont souvent de petits troupeaux, allant de deux brebis comme moi à plus d’une cinquantaine. Tous se retrouvent avec la laine sur les bras. Lors des événements et des festivals auxquels nous participons, nous faisons des rencontres. Un petit monde se fédère. Nous soutenons le projet d’Élise Jarreau, qui travaille en éco-pâturage avec son compagnon dans les Yvelines en lien avec la Bergerie nationale de Rambouillet. Dans un hangar, elle s’est déjà aménagé de quoi laver sa laine, en système D. Formée aux teintures naturelles, Élise obtient de très belles couleurs. Son idée serait de créer une unité de transformation de la laine pour l’Île-de-France. Pour monter son projet, elle a créé une association dont nous sommes adhérents, « les laines de Par ici ». C’est une ambition formidable mais qui demande beaucoup de moyens. Pour l’instant, rien n’est joué.

Ne pas perdre le fil

Dans la perspective de la tonte 2019, nous ne pouvons pas nous permettre d’entasser encore plus de 150 kilos de laine brute chez nous. Après avoir envisagé d’envoyer notre laine à transformer dans une des rares filatures qui restent dans le sud de la France ou en Belgique, nous avons finalement renoncé. Les coûts dépassaient largement nos moyens. De plus, dans ce contexte, la laine part sans qu’on sache ce qui va revenir. Les débris végétaux peuvent endommager les machines. Une bonne partie de la laine peut être déclassée en déchet auquel cas elle n’est pas renvoyée. Il est probable que, dans une laverie professionnelle, la plus grande partie ne soit pas recevable. Or, le plus important pour nous consiste à ne pas perdre le fil de nos toisons. Nos tâtonnements nous conduisent au fur et à mesure à trouver des solutions. C’est au Festival des bergers, des brebis et de la laine, organisé à Fontainebleau en septembre dernier par la SCIC Les Champs des possibles, en partenariat avec l’association Brebis laine, que nous avons rencontré le MacGyver des tondeurs-lainiers : Nicolas Poupinel qui nous a proposé de venir traiter notre laine dans son atelier de transformation en Bretagne. Un débouché idéal pour faire nous-mêmes et nous rendre compte du même coup de la réalité du travail et de ce qu’il est possible de faire.

Lavage, cardage, feutrage

Le jour du départ pour la Bretagne, nous embarquons toutes les trois dans la voiture de Cécile, avec la remorque prêtée par le berger et 90 kilos de laine brute. Avant de partir, nous avons retrié la laine de sorte à n’emmener que les lots à traiter en priorité. La laine de Suffolk, la plus belle laine de cette année, la laine de solognote, de limousine, celle des agneaux, ainsi que quelques laines de couleur. Si nous avons emporté la laine de corse pour l’expérience, nous avions laissé la Thônes et Marthod, car les poils longs sont moins intéressants pour le feutre, comme nous avons pu le remarquer sur les plaques de feutre faites à partir des laines de corse. C’est une semaine stimulante de travail intense. À l’issue de deux jours de lavage, nous avons 71 kilos de laine lavée, dont il faut retirer à peu près 25 kilos de laine d’agneaux avec laquelle nous pensions adoucir les plaques de feutre, mais que nous n’utiliserons pas devant un résultat peu probant. Pour le reste, nous obtenons environ 20 kilos de laine lavée et cardée (qui peut servir au filage, au piquage ou au rembourrage) et autour de 20 kilos de plaques de feutre d’1,20 m2 réparties en 6 plaques de Suffolk, 4 plaques de limousine, 4 plaques de solognote et 5 plaques plus petites de corse.

La cardeuse est une machine impressionnante, qui avale par un gros tuyau la laine lavée en lambeau, pour la brosser. Le mécanisme de rouleaux hérissés de piques métalliques lui donne des allures d’instrument de torture. Le cardage est une activité délicate qui demande de la concentration et beaucoup de précaution pour ne pas emmêler la laine et obtenir la bonne épaisseur au moment du décrochage des rouleaux. Ces rouleaux de laine cardée servent ensuite à composer les plaques de feutre. Alors que le cardage démêle la laine, le feutrage vient ré-emmêler au contraire les fibres pour les solidariser. La feutreuse bricolée par notre hôte se présente sous la forme de deux rouleaux qui se pressent en tournant en sens inverse.

Sur une toile, on dispose la laine cardée en couches, bien à plat dans un sens puis dans l’autre, qu’on asperge ensuite de 12 litres d’eau chaude et savonneuse. On enroule ensuite la nappe dans du papier bulle autour du rouleau de la feutreuse qui doit tourner 20 minutes. Pour une seule plaque de feutre, il faut dérouler et renouveler l’opération sept fois. Rien ne sert d’être trop nombreux dans l’atelier. À deux, avec 4 feutreuses qui tournent en même temps, nous pouvons réaliser 8 nappes par jour. C’est une grande émotion de voir sortir nos premiers essais même si certains présentent des irrégularités.

Les nouveaux défis pour 2019

Au retour de cette expédition, nous sommes très fières. Une nouvelle adhérente est déjà venue nous acheter quelques centaines de grammes de laine lavée et cardée pour intégrer dans ses créations et ses bijoux. Dans les garages, il reste encore de la laine brute mais nous en avons transformé la majorité. Comme l’an dernier, nous espérons vendre nos productions et animer des ateliers pour pouvoir financer le rachat de la laine et sa transformation. La route est longue mais l’aventure passionnante. C’est que la laine nous apprend autant sur les animaux que sur nous-mêmes, en tissant des liens autour d’un berger et de son troupeau. Avec optimisme, nous abordons les nouveaux défis pour l’année prochaine. Toutes vos idées et bonnes volontés sont les bienvenues.

Nous serons les 18 et 19 mai aux Naturiales de Fontainebleau et le 23 juin à Barbizon au Marché art et création. Venez nous rencontrer !

• Pour adhérer à l’association, téléchargez le bulletin sur le site : defilaine.wordpress.com
• Écrivez-nous à defilaine@gmail.com ou retrouvez-nous sur Facebook sur la page de Association défi laine.

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Depuis plus de 10 ans, la coopérative Les Champs des Possibles, créée en 2009 à l’initiative du réseau des AMAP (Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) d’Île-de-France, œuvre pour favoriser l’installation d’activités agricoles et rurales au niveau local, en militant pour le développement de l’agriculture biologique en circuits courts. Elle fédère consommateurs, producteurs, commerçants, artisans, collectivités, et invite à repenser concrètement les schémas agricoles de demain.

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