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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

La tragédie du Perroquet

Une bande dessinée pour témoigner de la bipolarité

Sur la couverture, un perroquet qui ne ressemble pas à un perroquet. Dans le plumage gris se dessine un petit garçon triste sous la menace de l’œil rouge et fou du volatile.

« Ma mère est une énigme », confie Espé qui recompose son histoire autour de cet objet symbole, le perroquet, une peluche chérie en feutrine informe, mal fichue, mal cousue, que l’enfant conserve en souvenir d’une maman arrachée à lui par la maladie. Pour la première fois, il dessine sur son propre scénario dans un style fantastique et expressionniste, projetant l’expérience intime de la maladie de sa mère souffrant d’un trouble bipolaire, dans le regard d’un enfant d’une dizaine d’années, Bastien. Une autofiction tendre et émouvante pour peindre au quotidien la réalité d’une maladie mentale à la fois ordinaire et méconnue, et briser le tabou d’un mal encore incurable et parfois mortel.

RENCONTRE
Vous vous êtes inspiré de votre expérience personnelle pour écrire cette bande dessinée, il ne s’agit toutefois pas d’un récit autobiographique. Où s’arrête la vérité et où commence la fiction ?
Ma mère est tombée malade au moment de ma naissance. Elle n’avait que 19 ans à l’époque et j’ai toujours cherché un moyen de raconter sa maladie et de rendre compte de mon expérience d’enfant. C’est un sujet difficile et je ne savais pas vraiment comment m’y prendre. Aujourd’hui, elle est toujours en vie et enchaîne les cures et les centres, sans que je ne constate de véritable évolution de son état. Il y a quatre ans, une cousine dont j’étais très proche s’est suicidée après de très nombreuses phases dépressives sévères et ce deuil a agi en moi comme un déclic. L’envie d’écrire ce livre qui me hante depuis plus de trente ans, s’est transformée en un devoir de témoigner sur cette maladie. En même temps, je ne voulais pas rendre compte uniquement de mon expérience personnelle, l’autofiction me libérait des contraintes autobiographiques trop intimes. Les troubles bipolaires touchent énormément de monde, peut-être 1 à 2 % de la population en Europe et je voulais que mon récit révèle une destinée plus universelle. D’ailleurs, dès que j’ai commencé à travailler sur mon scénario, j’ai recueilli de nombreux témoignages et j’ai composé en m’inspirant de chacun, même si mon récit s’appuie à plus de 80 % sur ce que j’ai vécu.

Votre mère souffre d’un « trouble bipolaire à tendance schizophrénique ». En mettant en scène la maladie, vous traduisez au quotidien ce qui se cache derrière cette appellation savante. Comment votre mère a-t-elle été diagnostiquée ?
Aujourd’hui, les psychiatres parlent de trouble bipolaire à tendance schizophrénique. Mais on peut appeler la maladie comme on veut : dépression, schizophrénie, bipolarité, c’est toujours la même chose, et pour ma mère, les symptômes n’ont jamais évolué. Dans les années 1980, on parlait de psychose maniaco-dépressive. Les diagnostics ont changé en fonction des thérapeutes qui l’ont suivie et des établissements dans lesquels elle a été internée. Les traitements aussi ont beaucoup évolué. Au début, quand j’étais gamin, on préconisait encore les électrochocs et j’ai le souvenir des wagons de médicaments que ma mère avalait matin midi et soir. À un moment, on a suspecté des troubles hormonaux et elle a été opérée de la thyroïde avant qu’on ne diagnostique ce trouble bipolaire à tendance schizophrénique. Aujourd’hui, on a à peu près tout essayé, de la médecine conventionnelle aux méthodes plus alternatives comme la sophrologie, les cures de sommeil ou la phytothérapie, aucun traitement n’a encore conduit à un résultat durable et probant en plus de quarante ans. Même si la médecine fait des progrès, on navigue à vue avec ce type de maladie encore incurable.

Bastien, le héros de cette histoire, a une dizaine d’années, pourquoi avoir choisi un regard d’enfant ?
J’ai écrit cette bande dessinée avant tout pour raconter une histoire d’amour entre un petit garçon et sa maman, une manière peut-être d’écrire une déclaration d’amour à ma propre mère. Il fallait surtout pour moi instaurer une distance face à la maladie et insinuer de la tendresse dans le quotidien. Raconter la maladie dans les yeux de Bastien, cela permet d’alléger un propos qui serait trop lourd, à travers le prisme analytique d’un adulte. J’avais par exemple envisagé de retranscrire des interviews avec ma grand-mère qui, avant de tomber malade, m’avait raconté son vécu par rapport à la maladie de sa fille. Ma grand-mère était quelqu’un d’extraordinaire, elle m’a toujours protégé un maximum. J’ai finalement préféré lui rendre hommage, en la représentant dans l’album telle qu’elle était dans mon souvenir. De plus, je suis persuadé que le compte rendu réaliste de ces interviews aurait été insupportable à réaliser et à lire, tandis que le style expressionniste de l’enfant donne accès à une empathie directe qui identifie totalement le lecteur dans le regard de Bastien. Je me suis moi-même tout entier projeté dans Bastien. En transposant dans un style fantastique l’imagination de l’enfance, j’ai trouvé une mine de métaphores pour le scénario. Quand j’étais petit, je lisais beaucoup de comics et je dessinais déjà beaucoup sur la table en formica que je représente dans les cases. Par exemple, lorsque Bastien imagine sa mère en super-héros, je me sers de ce souvenir, pour inventer et traduire ce qui se passe dans la tête de l’enfant qui entend parler d’électrochocs.

Le Perroquet. EspĂ© – Éditions GlĂ©nat – 160 pages – 21,5 x 29,3 cm – 19,50 €

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