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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

L’art de soigner avec humanité avec Jean-Michel Benattar

Sur la même longueur d’ondes que Martin Winckler

Le mois dernier, en lisant le superbe livre Le Chœur des femmes, de Martin Winckler, et en écrivant ma dernière rubrique, je n’ai pas arrêté de penser à un autre médecin qui partage la même philosophie. Je veux parler de Jean-Michel Benattar, qui est gastro-entérologue et hépatologue à Nice, mais qui est, aussi et avant tout, une belle personne. Cela fait longtemps que j’ai envie de vous parler de son expérience et de ses engagements, si proches de ceux de Rebelle-Santé, qu’il lit attentivement, d’ailleurs !

Une fourmi infatigable

J’ai connu Jean-Michel Benattar à mon arrivée à Nice, il y a deux ans. Je présentais un de mes livres. À la fin de la rencontre, il est venu me faire un cadeau : un livre qui raconte le récit du Réseau Marcel (Fred Coleman, Le réseau Marcel, Acropole, 2015), réseau de résistance créé à Nice, en 1943, pour sauver les enfants juifs. Il m’a dit : “Bienvenue à Nice, il y a toujours eu de la résistance ici“. En fait, il me conseillait, par ce geste, de bien regarder autour de moi les fleurs grandissantes, les graines semées, les fourmis infatigables… dans cette ville où je m’installais.

Jean-Michel Benattar est l’une de ces fourmis qui sèment et qui arrosent les fleurs pour tout le monde. Il aime les cigales, il crée des liens entre les Niçois en organisant des concerts chez lui… Et bien d’autres choses. C’est un citoyen engagé… Il ne veut pas ÊTRE quelque chose. Il veut FAIRE quelque chose. Oui, vous avez bien lu, c’est d’un médecin que je parle, un gastro-entérologue et hépatologue réputé de Nice qui affirme que “soigner avec humanité est un acte de résistance“.

C’est un soignant qui remet l’humain au cœur de la médecine en insistant sur trois principes : principe d’autonomie, principe de bienveillance, principe de non malfaisance. Il met en pratique cette belle parole : “Nous devenons justes par la pratique d’actes justes” (P. Le Coz, Petit traité de la décision médicale, Seuil, 2007, p. 107).  Selon lui, s’il existe de nombreux outils pour “soigner ensemble et chacun“, ces outils ne sont pas toujours connus ou difficiles à être acceptés et mis en place.

J’étais un robot…

Il n’a pas toujours été comme ça ! Il le raconte avec humilité : “Jusqu’à il y a 10 ans, j’étais un robot. Je croyais tout savoir. Médecin libéral, j’exerçais à Nice depuis 25 ans… Mais quatre ouvrages récents ont provoqué chez moi de véritables électrochocs.” D’abord, il a lu le Petit traité de la décision médicale de Pierre Le Coz, puis Mediator 15 mg, combien de morts ? d’Irène Frachon, ensuite La revanche du rameur de Dominique Dupagne et, enfin, Narrative Medecine : Honoring the stories of illness de Rita Charon. Tous analysent certains défauts du système de santé et proposent des solutions. Cette lecture répondait à un besoin plus personnel : “Une maladie, rebelle au traitement classique, mise en relation au cours d’une analyse, et la rencontre avec de telles sources de savoir, de savoir être et de savoir-faire, ont entraîné des bouleversements dans ma pratique“. Il a compris surtout l’irréductibilité des dimensions du soin (prendre soin – “Care” – pour guérir la maladie “Cure“). “J’ai exercé la médecine libérale durant 25 ans au sein d’un système de santé censé donner à tous les patients un accès potentiel aux meilleurs soins. Pourtant, à chaque consultation, j’ai mesuré la difficulté de soigner dans le respect de l’éthique du soin, de la singularité du patient, de mon savoir et de mes convictions, du fait de la complexité et de la diversité des contraintes.” Malgré ces contraintes (administratives, économiques, juridiques) auxquelles le médecin est confronté, Jean-Michel Benattar croit au changement ; il insiste sur le fait que l’Art de soigner avec humanité peut être harmonieusement combiné avec une médecine technico-scientifique performante et critique : “Le système de soins peut être transformé, à peu de frais, au bénéfice des patients, des soignants et du système de santé lui-même“.

L’éthique et la bienveillance

À Nice, toutes et tous les patients parlent de la bienveillance de ce médecin. “Je fais juste attention aux besoins singuliers des patients“, dit-il. Faisant référence à P. Le Coz, il définit la bienveillance par le fait d’être sensible à l’altérité de l’autre et, pour lui, c’est la base éthique de son métier. Pourquoi alors soigner avec humanité est-il un acte de résistance ? Il explique : “L’éthique médicale est née en 1947 lors du procès des médecins nazis à Nuremberg. Cela a montré qu’on peut être médecin et violer l’éthique médicale, en pensant que c’est bénéfique pour l’humanité. Même après la guerre, cette éthique n’a pas été toujours été un préalable pour tous les médecins. Par exemple, en France, il a fallu une loi (la loi Kouchner-4 mars 2002, voir encadré NDLR) pour imposer les règles les plus élémentaires de la médecine“. Soigner avec humanité est parfois un acte de résistance. Jean-Michel Benattar résiste.

LOI KOUCHNER
La loi Kouchner proclame le droit fondamental à la protection de la santé, qui doit être mis en œuvre par tous les moyens disponibles. Les établissements de santé doivent garantir l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible (article L.1110-1 du Code de la Santé Publique). Est également posé le principe de non discrimination, notamment en raison des caractéristiques génétiques (article L.1110-3 du Code de la Santé Publique). La personne malade a droit au respect de sa dignité (article L.1110-4 du du Code de la Santé Publique).

Médecine narrative

Selon Jean-Michel Benattar, pour soigner, il faut d’abord écouter les patients, c’est indispensable : “L’art du soin en partage est une vraie force d’humanisation du système de soins. Quand on écoute le récit du patient, l’autre devient sujet. Le récit est la rencontre de deux êtres humains. Il ne peut pas y avoir de soin s’il n’y a pas de rencontre“. Les patients peuvent-ils devenir sujets et devenir partie prenante du processus du soin ? Oui, même si cette collaboration n’est pas évidente, car nous, les non-médecins, sommes habitués à la passivité, à nous en remettre à la parole du médecin et à l’industrie pharmaceutique. Jean-Michel Benattar fait son possible pour encourager l’autonomie du patient tout en lui apportant des éléments indispensables sur les différentes voies de traitement possibles : “L’information éclairée de la balance bénéfice-risque est très complexe à un moment où le patient est en souffrance, parfois seul, où il pénètre dans un monde souvent étranger, où le langage utilisé n’est pas toujours adapté.”

Ça doit être fatigant d’écouter les récits de tous les patients… Alors je lui demande comment il trouve le temps et s’il n’est pas submergé par des narrations infinies… Il répond avec un petit sourire : “Oui, c’est parfois difficile. Mais quand on ouvre un espace de parole au patient, tout en étant présent dans cet espace, cette personne va te dire l’essentiel en deux minutes. Contrairement à ce que les gens croient, c’est assez rapide. Il ne s’agit pas de bavardage, mais d’une vraie conversation et d’une vraie collaboration.” L’acte médical devient ainsi un acte alchimique ! J’ai du mal à imaginer les médecins faire un pas en arrière pour laisser la place aux patients, et Jean-Michel Benattar confirme que ce n’est pas toujours simple : “Oui, c’est difficile, car on apprend la médecine en se basant sur des théories scientifiques, des règles rassurantes, parce qu’elles sont écrites et figées. Bien entendu, je ne nie pas l’importance de la science, mais il faut un équilibre. Il faut allier le subjectif et l’objectif.”

L’information éclairée de la balance bénéfice-risque est très complexe à un moment où le patient est en souffrance, parfois seul, où il pénètre dans un monde souvent étranger, où le langage utilisé n’est pas toujours adapté.

Le but est de démédicaliser !
Pour continuer avec joie…

Jean-Michel Benattar tente de porter un diagnostic le plus fin possible et de minimiser le recours aux prescriptions d’actes diagnostiques et de traitements médicamenteux. Et, surtout, une fois le patient guéri, l’étape de démédicalisation est essentielle. Il est temps de passer à autre chose. C’est le moment de la co-ouverture du champ des possibles. Le médecin et le patient inventent à deux des nouvelles normes de santé. Le patient réinvente sa santé avec l’appui de son médecin qui, en même temps, réinvente son métier. Encourager l’autonomie du patient nécessite une vraie relation de confiance et une connaissance étendue des nombreuses méthodes de soin possibles : “Je ne cherche pas l’idéal, mais le moins mauvais possible. De la richesse de la relation médecin-patient peut sortir quelque chose qui est simplement meilleur pour l’avenir des deux.

Jean-Michel Benattar regrette de ne pas avoir assez de temps. Pour mener à bien son travail, il a besoin de se tenir informé de toutes les nouveautés scientifiques et de découvrir d’autres types de réflexions, de modes de soin, en France, mais aussi au niveau international. Il veut apprendre sans arrêt, sans frein. Pour jouer son rôle de semeur de joie, il ouvre aussi ses oreilles à la connaissance et à la parole des patients.

Il sème l’espoir

Jean-Michel Benattar explique que, pour lui, 80 % des déterminants de santé sont sociaux-environnementaux et 20 % médicaux, et il trouve simpliste la perspective médicale qui repose sur le déni de la complexité et de la multiplicité des facteurs. Pour bien soigner, il s’est engagé dans un mouvement social en créant, avec d’autres, la Maison de la Médecine et de la Culture, une association qui construit les bases d’une Université Citoyenne du Soin… Il s’agit d’une université populaire qui organise des rencontres passionnantes et très constructives. Par ailleurs, ce petit réseau s’élargit et lutte pour que la réflexion critique ait plus de place dans l’enseignement supérieur. Ses membres proposent donc un projet de Diplôme Universitaire de l’Art du Soin comprenant 12 séances de formation pour les étudiants et pour les professionnels. Et, grâce au soutien de Patrick Bagué, doyen de la Faculté de Médecine de l’Université de Nice, l’étude de l’Art du Soin commencera en janvier 2018. Jean-Michel Benattar voit se dessiner un mouvement autour de ces notions essentielles de soin soutenues par les associations de patients. Il pense qu’il y a de plus en plus d’ouverture, surtout au sein de l’Université, mais aussi dans d’autres institutions.

Venant à l’encontre de nombreux préjugés, les portes s’ouvrent aussi à Nice où de nombreux médecins, dont le président de l’Ordre des Médecins, soutiennent ces initiatives. Ils avancent en invitant tout le monde à participer et en ouvrant les portes aussi grandes que possible. C’est comme une utopie qui se réalise.

Le mois prochain, je vous présenterai les travaux de cette association, avec le témoignage de Richard Desserme qui, après vingt années d’expérience en informatique médicale et de nombreuses interventions humanitaires et missions dans les zones de guerres, se retrouve aujourd’hui être l’un des animateurs de la Maison de la Médecine et de la Culture.

Je vous souhaite un automne romantique, sympathique, entouré de belles personnes.

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