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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

Les sympathisants

Épisode 3 - Des associations sympathisantes

Depuis quelque temps il est possible de partager physiquement les douleurs des autres.

Chapitre 3

Avant que la fée n’arrive, le vieil homme s’ennuyait dans sa chambre à la clinique Saint Grégoire. Hier, après son opération, il y avait un autre gars dans le lit d’à côté, et ils ont parlé un peu, puis l’autre gars a allumé la télévision et n’a plus parlé. Le vieil homme a donc regardé la télévision avec lui. Plus tard, ses enfants et son épouse sont venus le voir, avec le petit. Puis ils sont repartis. Ensuite, on est venu chercher le gars du lit d’à côté pour le ramener chez lui. Il n’y avait plus personne. Ce matin, une aide-soignante lui a apporté son petit déjeuner. Du café, du pain, du beurre, un yaourt, une poire. Après, le vieil homme a lu quelques pages du roman d’Agatha Christie qui est là, sur la tablette. Mais lire lui donne mal à la tête au bout d’un moment. Il a posé le livre et n’a rien fait. Ou plutôt, il a regardé le plafond. Il y a des dalles gris clair posées sur des lattes blanches. Le regard du vieil homme a parcouru les dalles. Elles doivent bien faire trente centimètres de côté. Il y en a douze côté couloir, sur dix-huit dans l’autre sens. Le mur du côté du couloir mesure donc à peu près trois mètres soixante, et celui d’en face cinq mètres quarante. Nous sommes dans une chambre d’environ vingt mètres carrés. Ce n’est pas mal.

Sur le mur en face de lui, sa femme a accroché hier un dessin du petit, ou plutôt un coloriage, assez mal fait en réalité. C’est un clown mais le petit a utilisé les couleurs au hasard, et a bariolé le dessin de bandes verticales multicolores. En dessous, il a écrit “Papy je t’aime. Maxime”. Le vieil homme a relu et médité ces mots.

Dehors il avait l’air de faire beau. Le ciel était bleu avec quelques petits nuages. On devait être assez haut car de là où il était, le vieil homme apercevait juste le sommet d’un bâtiment quand il se redressait. Il savait qu’il était dans la chambre 418, vraisemblablement au quatrième étage.

Habituellement, le vieil homme aime faire beaucoup de choses, jardiner, aller au marché avec sa femme, aller boire un verre avec ses amis, jouer avec son petit-fils, lire des romans policiers, faire des mots croisés… Mais à l’hôpital, on ne peut pas faire grand-chose, on s’ennuie et c’est regrettable. Il y a bien la télévision, mais à part “Des Chiffres et des Lettres”, le vieil homme n’aime pas tellement.

Cependant, il était assez satisfait car le goutte-à-goutte avait été retiré. Le cathlon était toujours là, au cas où, mais les perfusions, c’était fini. C’est pas trop tôt, a-t-il pensé, avant de s’endormir.

À présent, il se réveille et il y a une fée dans la chambre. Elle lui sourit gentiment. Il lui sourit aussi. Elle est habillée tout en blanc. Elle lui prend la main.

– Vous allez mieux ; vous n’avez plus mal du tout.

– Plus du tout, confirme le vieil homme, ému.

La fée a des cheveux châtain doré et de grands yeux noisette très doux.

– Vous allez bientôt pouvoir rentrer chez vous.

– Déjà ? s’étonne le monsieur, car il vient à peine de rencontrer la fée. Tandis qu’il se dit qu’il boirait bien de l’eau fraîche, elle fait apparaître une carafe et un verre.

– Il faut boire, dit-elle en versant de l’eau dans le verre.

Puis, alors qu’il s’exécute, elle lui demande :

– Avez-vous besoin d’autre chose ?

Le vieil homme pense qu’à présent, il ne doit lui rester que deux souhaits. Il préfère y réfléchir avant de les formuler.

– Non merci, madame. Vous êtes bien gentille.

– Alors je vous laisse. Reposez-vous. Le docteur viendra vous voir tout à l’heure.

Après qu’elle a disparu, le vieil homme continue encore à sourire.

Quant à la fée, elle a obtenu son diplôme d’infirmière il y a trois ans. Dans cette clinique, c’est son premier poste, et son travail lui plaît beaucoup. Spontanément, elle aime de tout son cœur les patients qui sont soignés ici et elle fait tout pour qu’ils se sentent bien. Comme beaucoup de ses collègues, elle ne peut supporter l’idée qu’un patient souffre, et elle sympathise souvent et longuement avec toute personne qui se plaint de douleurs.

Elle ne connaît pas Denise Legendre, mais il serait intéressant qu’elles se rencontrent car elles ont beaucoup de choses en commun.

Chapitre 4

Ce soir, Alain, membre du Groupe Empathique et Sympathique Actif, est chez lui. Il rédige avec ses amis le programme de la semaine de laSympathie. Mais les conditions ne sont pas réunies pour travailler convenablement. Pour commencer, ils ne sont que deux : Alain et Manu, alors qu’ils attendaient au moins deux ou trois autres amis. Ensuite, après quelques cafouillages informatiques, Manu a, il ne sait comment, perdu sa dernière version augmentée et corrigée de l’événement.

De toute façon, à une réunion de travail, il faut être plus que deux.

En recherchant la version antérieure du fichier, Alain tombe sur les photos de son récent voyage à Saint-Domingue. Manu ne les a pas encore vues. Les deux amis vont les regarder ; peut-être les autres vont-ils finir par arriver.

Ils n’arrivent pas. À vingt-deux heures, Alain et Manu décident d’aller boire un verre en bas, dans un bar tout proche.

Dans le bar, ils trouvent Nicolas et Guy, qui ne sont pas venus à la réunion. Mais Alain et Manu ne leur disent rien ; la réunion est terminée. Les quatre amis boivent un coup en discutant.

– Tiens, Manu, dit Nicolas, c’est vraiment bien de nous aider comme ça, une fois de temps en temps… Mais toi tu penses adhérer au GESA ou pas ?

– Ouais, enchaîne Guy, ce serait bien, tu sais, tu dis que tu es toujours dans ton coin, tu verrais, en fin de compte on se marre bien parfois avec les Sympathisants.

Manu ne répond pas.

– Mais lui, il trouve que dans les assos de Sympathisants, on n’en fait pas assez, rappelle Alain.

– Puisqu’on peut le faire, autant soulager les gens, même si c’est juste pour un temps, dit Nicolas.

– Peut-être, mais moi je ne peux pas me permettre de passer du temps à faire ça, répond enfin Manu. Je suis sûr qu’on peut faire beaucoup mieux. En réalité, c’est leur solitude et rien d’autre que l’on soulage.

Toi-même, Alain, tu m’as raconté… Combien de fois êtes-vous arrivés chez quelqu’un qui vous a accueillis en vous disant : “Ah, vous arrivez maintenant ? Eh bien en fait ça va mieux.” Et il vous sert une bière, et on discute…

– Et alors, et c’est bien, ça, non ? C’est pour ça que les gens demandent de plus en plus la Sympathie collective, répond Alain.

– Attendez, dit Guy, il faut que je vous raconte, vous savez ce qui m’est arrivé avant-hier ? Avec deux copines du GESA, je suis allé voir une vieille dame qui avait des fourmillements terribles dans les pieds, elle ne supportait plus. Dès qu’on a commencé à sympathiser, on s’est mis à se tortiller de rire sans pouvoir s’en empêcher : vous voyez, les fourmillements qui faisaient mal, divisés par quatre… ça s’est transformé en chatouillis ! La vieille dame a cru qu’on se foutait d’elle, ça n’avait pas l’air de la chatouiller et elle s’est mise en colère. Mais au bout d’un moment, avec nos rires communicatifs, ou parce que ça la chatouillait aussi, elle a fini par rire comme nous !

Et Guy éclate d’un grand rire sonore.

Chapitre 5

Amitié Moindre Mal : quatrième étage. De son pas débonnaire, Denise se dirige vers l’ascenseur, devant lequel attend un jeune homme en complet noir. Le zéro s’allume, les portes s’ouvrent et le jeune homme s’efface pour la laisser entrer. “Je vous en prie, madame”, dit-il, non sans cligner des yeux très rapidement. “Je vais au quatrième”, dit Denise. Le jeune homme appuie sur le bouton, puis se tourne vers elle avec un sourire crispé : “Vous allez au bureau d’AMM ?” Ah, pense Denise, AMM, Amitié Moindre Mal. “Oui”, répond-elle en souriant, tandis que l’autre fronce très rapidement le nez plusieurs fois, ce qui fait remonter ses lunettes un peu plus haut. “J’y vais également”, dit-il crânement. L’ascenseur s’arrête. Les portes s’ouvrent. C’est juste en face. Sur la porte, une pancarte indique qu’il faut entrer sans frapper. C’est ce que font Denise et son compagnon. Ils découvrent alors un bureau derrière lequel attend une grande femme maigre qui leur sourit de ses dents proéminentes. Elle et son bureau sont surmontés d’un panneau “Accueil”.

– Bonjour ! dit-elle longuement d’une petite voix aiguë. Le jeune homme se dirige vers elle, décidé à lui serrer la main. Comme elle s’étonne : “Je suis Legrand Fabrice”, annonce-t-il, vraisemblablement persuadé que mettre son patronyme avant son prénom paraît plus sérieux. “Nous nous sommes déjà vus, ajoute- t-il. Je viens voir André.” La longue femme décroche son téléphone “André, monsieur Legrand Fabrice souhaite vous voir. D’accord.” Elle raccroche. “Il vous attend dans son bureau à gauche”, dit-elle en désignant sa gauche. Le garçon se dirige vers la droite, frappe à la porte du bureau marqué “Direction”, puis entre.

– “Madame ?” dit la dame radieuse à Denise.

Intimidée, Denise serre son sac de ses deux mains.

– Je viens me renseigner pour… sympathiser avec les gens seuls.

– Au niveau local ? questionne la secrétaire de sa voix haut perchée.

– Euh… je ne sais pas…

La secrétaire sourit devant son hésitation.

– Chez AMM, nous avons ouvert un secteur international. Nos Sympathisants s’occupent du mal des personnes qui vivent dans d’autres pays et qui sont victimes des guerres, par exemple, ou de catastrophes naturelles.

Denise hoche la tête : international, c’est bien de faire ça.

– Pour cela, poursuit la secrétaire, il faut avoir fait au moins deux mois de Sympathie locale. Si cela vous intéresse, vous pouvez vous adresser à Édith, une de nos bénévoles. Elle s’occupe du secteur. Elle est déjà partie faire de l’international plusieurs fois. C’est une femme très dévouée. Elle sera ravie de vous renseigner.

La secrétaire note un numéro de téléphone et une adresse e-mail sur un post-it.

– Je vais déjà vous donner un formulaire, sur lequel vous indiquerez vos préférences et vos renseignements médicaux, et il faudra me le retourner complété et accompagné des documents demandés, débite-t- elle d’une seule traite.

Elle pivote alors sur son siège vers une petite table située sur sa droite, puis lèche son doigt pour saisir un papier blanc imprimé vert et bleu. Elle y colle son post-it et tend le tout à Denise.

– Si vous voulez rencontrer Édith, elle fait une permanence ici tous les mardis à partir de dix-huit heures trente. Elle pourra vous expliquer le fonctionnement de l’international et vous inscrire par avance dans notre liste si vous êtes motivée.

– Merci madame, dit Denise.

– C’est moi. À bientôt, madame, conclut la secrétaire avec un sourire réjoui découvrant ses grandes dents.

Denise plie le papier en deux afin de le ranger dans son sac, tout en pensant que mardi prochain, il faudra choisir entre Édith et le yoga. Quel dilemme ! Mais faire des choix, c’est renoncer.

En attendant, Denise remonte dans sa voiture qu’elle avait soigneusement garée sur une place de parking payant, et constate en regardant le ticket qu’elle aurait pu rester encore dix minutes dans le bureau d’AMM.

Le sourire aux lèvres, Denise démarre la voiture. Dès qu’elle sera rentrée à la maison, elle enverra un message à Édith pour se présenter. Et puis elle fera aussi une petite recherche pour connaître les autres associations de Sympathisants de la région.

À suivre…

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