Tomi Ungerer, pédagogue subversif de l’imaginaire
"Je suis un agent provocateur"

Sur l’idée originale d’Alexandre Delcroix, le rédacteur en chef de Philosophie Magazine, Tomi Ungerer a accepté de répondre pendant 4 ans aux questions des enfants dans son journal. Le recueil Ni oui ni non compile un florilège de ces questions-réponses et révèle les talents de pédagogue du grand dessinateur. De l’art de dire la vérité aux enfants sans se prendre au sérieux. Portrait.
Faut-il encore présenter Tomi Ungerer ? À 86 ans, tout vêtu de noir avec sa redingote, ses baskets qui clignotent, sa canne et son chapeau, Tomi a encore ce sourire espiègle et la malice dans le regard de l’enfant qu’il a su rester. Artiste protéiforme, dessinateur de presse, illustrateur, écrivain, sculpteur, affichiste, il est surtout célèbre en France comme un géant de la littérature jeunesse, auteur de très nombreux livres, comme Les trois brigands, le géant de Zeralda, ou encore Jean de La lune pour les plus connus.
Si aujourd’hui ses livres sont considérés comme des classiques, ils ont longtemps été interdits dans les écoles américaines, pour avoir bousculé les codes et la morale puritaine, en révolutionnant la manière de s’adresser aux enfants.
Traiter les enfants en égaux
C’est que Tomi déteste la condescendance avec laquelle certains adultes prennent les enfants de haut, et toutes les niaiseries professées sous prétexte de protéger les plus jeunes. « J’ai fait mes livres d’enfant pour l’enfant en moi. J’ai toujours traité les enfants en égaux, on a tant à apprendre d’eux et ce n’est pas parce qu’on est plus grand qu’on est plus malin. Il faut traumatiser vos enfants, il faut leur faire peur sinon ils deviendront tous experts comptables ».
Ne pas cacher la réalité
Il est ainsi un des premiers à évoquer la Shoah dans ses livres pour enfants. Dans Otto, à travers l’autobiographie d’un ours en peluche, il décrit l’amitié entre un petit garçon allemand et un petit garçon juif, pris dans la guerre.
Tomi donne aux enfants les moyens de surmonter les traumatismes, en montrant comment on peut sublimer les difficultés et les discriminations, en livrant les clés de la complexité d’un monde ni noir ni blanc, cruel et enchanté. Il glisse d’ailleurs toujours dans l’image des détails grinçants ou surréalistes qui n’échappent pas à l’observation enfantine. « J’ai hérité de ma mère de ne pas avoir froid aux yeux, sauf en hiver. Les personnages dans mes livres n’ont jamais peur, même s’ils peuvent avoir de l’anxiété ou des soucis, devant la réalité, ils n’ont pas peur. »
Dans ses histoires, les méchants, souvent, redeviennent gentils. De même les héros ne sont jamais idéalisés et, mêmes fantaisistes, les récits voient toujours triompher l’altruisme, et cheminent vers le sens de la solidarité. Enfant ou nuage, extraterrestre ou musicien, chien né chez les chats ou foule d’animaux mal aimés (chauve-souris, pieuvre, vautour), tous apprennent à tirer parti de leur différence dans un monde toujours imparfait aussi imaginaire qu’il puisse être.
Répondre spontanément aux questions des enfants
C’est Alexandre Delcroix, rédacteur en chef de Philosophie Magazine, qui a proposé à Tomi de répondre aux questions des enfants pour son magazine pendant plus de quatre ans.
« On a décidé d’arrêter de demander à des philosophes de s’adresser à des enfants pour prendre quelqu’un qui parlait déjà aux enfants avec une profondeur philosophique. Tomi Ungerer était une évidence », explique-t-il. « Je n’aime pas trop le mot philosophique, mon cerveau est dans mes mains », répond modestement Tomi qui n’a pas hésité.
Dans la préface du livre, il ajoute : « Je reste réaliste dans l’absurde, comme le chêne qui se conifère en voyant venir l’hiver. La vie est une épreuve à surmonter dans un monde injuste et violent, autant en avertir les enfants… Répondre aux enfants, cela signifie se mettre à leur place, expliquer les choses avec des mots adultes et compréhensibles, illustrer les idées par des exemples tirés de la réalité ou soutirés à l’imagination, leur montrer que tout peut se surmonter avec le sourire et le respect. Et que nous sommes tous – grâce à l’absurde – des apprentis sorciers. »
Ni oui ni non
Pourquoi Dieu ? C’est quoi le temps, c’est quoi la sagesse ? Pourquoi la saleté, pourquoi l’argent ? Est-ce que l’arc-en-ciel sert à faire monter les oiseaux vers les nuages ? « Pourquoi se pose-t-on toujours des questions ? », demande enfin Mateo, 7 ans. « Pour satisfaire sa curiosité, parfaire ses connaissances et combler ses lacunes » répond Tomi qui distingue deux types de questions, celles concrètes, où l’on peut répondre par une connaissance, celles plus abstraites dont les réponses sont ouvertes et non définitives. Puis il conseille : « C’est une question d’éclairage. Quand vous avez la tête pleine de lanternes, vous pouvez commencer à émettre de la lumière. »
Mais quand on lui demande pourquoi 2 + 2 = 4, il répond 2 fillettes et 2 garçons, ça fait 4 enfants, mais 2 tranches de pains et 2 tranches de jambon, ça fait 1 sandwich. De quoi brouiller les pistes.
Alors pourquoi il y a tant de livres ? « Parce qu’il n’y en a pas assez. ».
- Ni oui ni non
Réponses à 100 questions philosophiques d’enfants
Tomi Ungerer
L’école des loisirs
150 pages
16 €
Un musée à Strasbourg
Ouvert en 2007, le musée de Tomi Ungerer à Strasbourg rassemble les quelques 11 000 dessins, livres et objets que l’artiste a donnés à sa ville natale au cours des quarante dernières années. Cette collection accompagne ses propres œuvres de celles d’autres dessinateurs comme Stan Steinberg, Albert Dubout, André François, Ronald Searle, Chaval ou Willem pour ne citer qu’eux, mais aussi 6500 jouets et jeux. Surtout connu dans l’hexagone pour ses livres pour enfants, Tomi Ungerer a créé une œuvre foisonnante, aux styles très variés. Auteur de dessins érotiques, maître de la satire, il a aussi réalisé affiches et dessins de presse, toujours très engagés contre les fanatismes. Jusqu’au 8 juillet, une exposition est consacrée aux 50 ans des Shadoks. Une visite s’impose.
Musée Tomi Ungerer – Villa Greiner – 2, Avenue de la Marseillaise – 67000 Strasbourg.
Petite bibliographie sélective
Une vingtaine de titres de Tomi Ungerer est actuellement disponible en français. Lire éveille la curiosité et la concentration, et la lecture est aussi un moment de partage. Un bon livre se définit par son apprentissage et son ouverture à l’imaginaire, la qualité du texte et des images, la richesse du vocabulaire et du dessin, son originalité et sa poésie. Mais le mieux est de suivre son instinct, car si la préférence de l’enfant aura toujours le dernier mot, il faut aussi lui proposer des textes qui parlent à l’adulte et qui lui plaisent.
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ZlotyUne version revisitée du Petit chaperon rouge. La fillette se lie d’amitié avec Samovar, le grand nain et Kopek le petit géant, avant de renverser le loup en traversant la forêt sur son scooter. Le loup soigné chez sa grand-mère devient son ami. |
TrémoloTrémolo le musicien dérangeait ses voisins, jusqu’au jour où la voyante extra-lucide du dessus lui a jeté un sort en matérialisant ses notes de musique. Bientôt envahi par sa propre musique, Trémolo doit partir. Mais il découvre bientôt que ses notes se mangent. Un vrai délice. |
Allumette et Pas de baiser pour MamanÀ partir du conte de Noël d’Andersen, Ungerer permet à la pauvre orpheline de prendre sa revanche. À l’inverse, Jo, le chaton de Pas de baiser pour Maman, chéri et gâté par sa tendre mère, se révèle être un petit voyou bagarreur. |
Le nuage bleuL’histoire d’un nuage bleu qui faisait comme il voulait sans suivre le troupeau des nuages, mais qui se sacrifie finalement pour sauver de l’incendie une ville en proie à une guerre civile. |
Jean de la LuneJean est le seul habitant de la Lune et rêve de pouvoir s’amuser avec les Terriens. Seulement, sur Terre, c’est le cauchemar et il n’a plus qu’une envie, c’est de rentrer chez lui. Heureusement, un savant lui vient en aide. |
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