communauteSans
Communauté
boutiqueSans
Boutique
Image décorative. En cliquant dessus, on découvre les différents abonnements proposés par Rebelle-Santé
S’ABONNER

La santé naturelle avec Sophie Lacoste

Le verger conservatoire de Château-Renard dans le Loiret

Un réservoir de variétés anciennes et locales pour l’avenir

À Château-Renard, à 20 km de Montargis, près de quarante ans après la création du verger conservatoire, se pose toujours la question de la transmission des connaissances et des savoir-faire. Comment faire vivre ces variétés de pommes et de poires anciennes sauvegardées de l’arrachage massif des arbres au moment du remembrement ? 

À la fin des années 1970, des vergers conservatoires sont créés sur tout le territoire pour sauvegarder des variétés fruitières locales menacées de disparition. Gardiens d’un patrimoine naturel menacé, ces vergers ont un rôle clé à jouer pour la restauration de la biodiversité, mais ils ont aussi besoin d’être soutenus et entretenus.

Terres de poires et de pommes, peut-on seulement imaginer ce que représentait la production fruitière dans le Loiret avant la seconde guerre mondiale ? Les 200 000 quintaux de fruits récoltés dans la région étaient consommés en majorité localement et transformés dans les 80 cidreries des environs. 

À Château-Renard, la cidrerie Larousse brassait jusqu’à 8000 tonnes de fruits par an. Elle a fermé en 1977. Dans les fermes vidées de leur main-d’œuvre, les presseurs ambulants ne passent plus : il n’en reste qu’un, de même qu’il ne reste plus que quatre producteurs de fruits sur ce territoire. « C’était une autre époque. Pour des travaux de force comme ceux des champs, il fallait mouiller. C’était la règle, et on pouvait compter cinq litres de cidre par jour et par personne. Il n’y avait pas non plus de campagne de prévention contre l’alcool, mais comme on se déplaçait surtout à vélo, ça limitait les accidents ! », explique Daniel Bézy, le responsable de l’entretien du verger conservatoire. Originaire de la commune, fils d’agriculteur, cet électricien à la retraite a commencé à s’occuper du verger du temps de Robert Harry avant de lui succéder. Bénévole depuis toujours, passeur conscient des enjeux de conservation et de transmission qui se jouent dans cet îlot conservatoire, il voit dans ce verger son engagement pour les générations futures : « Je crois que si vous n’avez pas la conviction de faire quelque chose d’utile pour ceux qui viennent après, c’est pas la peine de le faire », résume-t-il avec philosophie. 

Conserver le patrimoine naturel

Face au remembrement et à l’abattage massif des arbres pour permettre le regroupement des parcelles et faciliter les grands rendements de la monoculture, à Château-Renard, certains ont tout de suite pris conscience de la valeur du patrimoine qu’on allait détruire. 

Pierre Chesnaux, un agriculteur qui produisait du cidre et du vinaigre, a incité le syndicat d’initiative et la commune à mettre à disposition deux parcelles récupérées sur des terres d’une ancienne ferme. L’étude pour déterminer la composition du verger a été confiée à Jean Sift, un ingénieur agronome passionné, qui enseignait au lycée professionnel du Chesnoy, tout près. Le verger est planté en 1985. On y trouve une soixantaine de pommiers et plus haut, une quarantaine de poiriers, tous greffés à partir d’arbres locaux sur une zone qui va de Montargis à Charny et de Châtillon-Coligny à Courtenay. Sur le plan, les noms font rêver. Si un connaisseur peut reconnaître des familles comme les Locards ou les Sébins, d’autres variétés non identifiées ont pris le nom qu’on leur a donné, selon le lieu-dit où les arbres ont été plantés, ou celui de la personne chez qui l’arbre poussait. On retrouvera ainsi les arbres de Monsieur Rose, ceux de Titine ou d’Auguste André. L’histoire de ces variétés se raconte à l’échelle humaine des pratiques paysannes. 

Entretenir le verger

À l’entrée du village, en bordure de route et entre deux champs ouverts, le verger témoigne d’un patrimoine précieux mais fragile et toujours menacé, inséré dans un décor qui, pour ne pas être la Beauce, reste un paysage redessiné par le remembrement, sculpté par les machines, déserté par les humains : difficile de se remémorer le bocage, les prairies arborées.

*

Cette année, le printemps a été généreux. Sur certains arbres, le poids des fruits menace des branches étayées par précaution. Daniel Bézy veille. À lui de déceler les fragilités, d’anticiper si l’arbre risque de mourir, de savoir comment le remplacer. L’hiver, il vient couper le gui. L’été, la municipalité s’occupe de tondre. Pour lui, le manque d’eau reste la problématique la plus préoccupante. La terre éprouve la canicule du mois d’août, la sécheresse pour la troisième année consécutive attaque les racines. Les coups de soleil ont brûlé les joues des pommes et les arbres assoiffés luttent pour survivre, en se délestant d’une grande partie de leurs fruits encore verts qui tapissent le sol, au milieu des mouches, des guêpes et des frelons. « La commune n’a pas beaucoup de moyens à donner au verger et il est devenu très difficile de trouver des bonnes volontés pour s’occuper des arbres bénévolement. C’est toujours le même problème, on voudrait planter plus de vergers, mais qui va s’occuper de l’entretien, rémunérer l’ouvrier ? », déplore-t-il.

Pommes à cidre et pommes de fer

La culture des pommes et des poires est très ancienne, et il est souvent impossible de remonter l’historique d’une variété jusqu’au pépin d’origine tant les arbres ont été greffés et reproduits au gré des brassages et au fil des siècles. 

Le besoin d’horizons

Professionnels ou particuliers, n’importe qui peut s’adresser au syndicat d’initiative de Château-Renard pour goûter et acheter des fruits à un prix symbolique, ou récupérer des greffons pour replanter des arbres. 

Les Croqueurs de pommes® du Bocage gâtinais : une association partenaire du verger conservatoire de Château-Renard

Le réseau des « Croqueurs de pommes® » a été créé à l’origine à partir d’une association fondée en 1978 par Jean-Louis Choisel sur le territoire de Belfort pour faire face à l’effondrement du patrimoine fruitier régional, mis à mal par l’arrivée de variétés standardisées de grande consommation. Fédéré au niveau national, il regroupe désormais 64 associations engagées pour la sauvegarde des variétés fruitières anciennes régionales. L’association des Croqueurs de pommes® du Bocage gâtinais, implantée depuis vingt-et-un ans à proximité du verger conservatoire de Château-Renard, contribue naturellement à son rayonnement.

Pour devenir « croqueur de pommes », il faut avoir été mordu d’une manière ou d’une autre : sensibilisé d’abord à la menace qui pèse sur la culture des variétés anciennes et locales, appâté par la richesse d’une palette de saveurs ignorées, initié ensuite aux subtilités de l’art du greffage, aux connaissances et aux gestes liés à ces pratiques délaissées. 

« Nous nous appelons les “Croqueurs de pommes®“, mais notre engagement pour la sauvegarde des variétés régionales anciennes ne concerne évidemment pas que les pommes, de même que la pomologie est la science qui permet de décrire et de classifier tous les fruits. L’association des Croqueurs en Provence est ainsi devenue une référence internationale sur la culture de l’amandier », rappelle Christophe Grévy. 

Forte d’une soixantaine d’adhérents chaque année, le calendrier des activités organisées par l’association est bien rempli. 

« Le verger conservatoire de Château-Renard est une vraie mine qu’on n’a pas fini d’étudier. Nous y organisons des visites de dégustation et y prélevons chaque année des greffons pour reproduire les arbres avec nos adhérents. Au fil du temps, notre mission pour la sauvegarde des variétés anciennes évolue. Aujourd’hui, la plupart de ces variétés ont soit totalement disparu, soit déjà été sauvegardées. Les multiplier est désormais le seul moyen de les conserver. C’est pourquoi nous nous orientons de plus en plus vers la transmission des savoir-faire et des connaissances, en formant nos adhérents à l’arboriculture et à la pomologie. »

Le réseau national des Croqueurs de pommes® échange aussi avec les chercheurs. En 2011, quand l’INRA d’Angers lance une vaste étude de comparaison génétique pour créer une base de données et classifier les différentes variétés de pommes cultivées sur le territoire, les Croqueurs sont partenaires. Christophe Grévy sourit : « La génétique peut aider à mettre un peu d’ordre dans la classification, elle ne traduit pas non plus toutes les subtilités des milieux et des cultures. À la louche, certains vous diront qu’il existerait 10 000 variétés régionales, je pencherais plutôt pour un chiffre autour de 3000, car il existe de nombreux synonymes. Nous avons ainsi fait tester la fameuse “Bois-mort” du verger de Château-Renard, dont la génétique nous a appris qu’il s’agissait en réalité d’une reinette blanche du Canada, une pomme réputée, mais pas une variété inconnue. »

Même si la suprématie de la Golden n’est pas prête d’être remise en cause au supermarché, les Croqueurs du Gâtinais sèment un peu d’optimisme : « Tous nos membres ne sont pas actifs mais on perçoit très clairement un rajeunissement de nos adhérents. Ce renouveau est sans doute déterminé par un désir de mieux manger et de consommer plus local. Le développement des AMAP, comme celle de Cortrat, a beaucoup contribué à nous fédérer. Il y a également la curiosité de nouveaux arrivants, des gens qui s’installent dans la région et qui veulent apprendre à cultiver leur jardin. Surtout, depuis dix ans, nous accompagnons aussi de nouvelles démarches d’agriculteurs professionnels qui voient désormais leur intérêt à replanter des vergers et diversifier leur production. Il se crée ainsi de nouveaux vergers chaque année que nous encourageons, de même que nous aidons souvent à régénérer de vieux vergers », conclut le Croqueur.

Sites internet :

https://pommes-bocage-gatinais.pagesperso-orange.fr/ 

https://croqueurs-national.fr/

Pour lire la suite

Déjà abonné·e, connectez-vous !

Magazine

À lire aussi

Pour nous prémunir du risque de nouvelles pandémies…

« Voir un lien entre la pollution de l’air, la biodiversité et la Covid-19 relève du surréalisme, pas de la science », déclarait Luc Ferry dans L’Express du 30 mars 2020, contredisant ce qu’affirme pourtant la soixantaine de scientifiques du monde entier que Marie-Monique Robin a pu interroger pendant le premier confinement. Son livre La Fabrique des pandémies réunit ces entretiens dans une enquête passionnante qui explique comment la déforestation, l’extension des monocultures, l’élevage industriel et la globalisation favorisent l’émergence et la propagation de nouvelles maladies. Non seulement la pandémie de Sars-CoV-2 était prévisible, mais elle en annonce d’autres.

À Châtillon-Coligny, une Recyclerie créative pour arrêter le gâchis

Si on entend de plus en plus parler des ressourceries ou des recycleries, celles-ci se développent surtout autour des villes. À Châtillon-Coligny, la Recyclerie créative s’est implantée dans le centre-ville d’une bourgade de 2000 habitants située en territoire rural, au beau milieu de la campagne Montargoise. En quatre ans, sa réputation n’est plus à faire dans le paysage local. La bonne nouvelle, c’est que malgré la crise, malgré l’épidémie, les projets y fleurissent encore.