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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

Lili Sohn

L’après-cancer, une thérapie féministe en BD

Lili Sohn est dessinatrice. En 2014, la jeune femme n’a que 29 ans quand elle apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du sein. Elle ouvre un blog pour raconter l’expérience de sa maladie et tous les bouleversements qu’elle implique, non seulement physiquement, mais mentalement et socialement. Lili aujourd’hui est guérie et écrit des BDs de vulgarisation féministe. Le dernier : « Mamas, le petit précis de déconstruction de l’instinct maternel », vient de sortir.

« Je viens de me faire diagnostiquer un cancer du sein, ça pue du cul » constate Lili Sohn sans détour, dans les premières pages de La guerre des tétons, une série en 3 volumes, à l’origine publiée sur le blog de la dessinatrice qui rendait compte au jour le jour de sa maladie, des traitements, des angoisses et des questionnements qu’elle suscite.

Installée à Montréal depuis 2009, la jeune graphiste d’origine alsacienne repère une anomalie sur ton téton droit en 2014. La mammographie lui confirme la présence d’une tumeur de la taille « d’une balle de ping-pong », qu’elle surnomme rapidement « Gunther » et qu’elle dessine sous la forme d’un méchant nuage vert.

*Dans la foulée, elle ouvre un blog tchaogunther.com, dans lequel elle raconte son combat, des phases de déni à la prise en charge médicale, avec esprit de synthèse et autodérision. Elle construit ainsi à partir de ce témoignage concret un discours de vulgarisation joyeusement efficace et sans tabou dans lequel elle se met en scène avec beaucoup de franchise et d’humour. Elle explique : « En faisant mes premiers dessins sur le blog, je ne pensais pas du tout être éditée. C’était d’abord pour moi une manière de m’aider à comprendre et de raconter à mes proches ce qui m’arrivait. Le blog faisait entièrement partie de ma thérapie. Du jour au lendemain, je me suis retrouvée avec cette maladie terrifiante, confrontée à un jargon et un milieu médical que je ne connaissais pas. Je devais comprendre ce qui se passait dans mon corps, avoir conscience des implications des traitements que je suivais. À l’hôpital, les médecins se moquent souvent de savoir si tu comprends, pour moi c’était important que tout le monde ait accès à l’information. Peu à peu, je me suis rendu compte surtout que j’aimais ça, vulgariser, raconter aux gens, chercher et prendre des notes ».

Sur son blog, elle déclare vouloir « transformer le caca en paillettes ». Comme une magicienne avec ses cheveux violets et ses lunettes roses, en dédramatisant la maladie, elle sait surtout éclairer son quotidien comme son journal intime, en montrant l’importance des à-côtés : le soutien de ses proches, les leggings flashy qu’elle se choisit pour chaque chimio, l’organisation de l’enterrement de vie des cheveux avec ses copines, la méditation, ou encore l’acupuncture pour faire face à sa phobie des piqûres.
Remède contre la pitié et l’accablement, elle laisse éclater sa soif de vie et son besoin d’énergie cosmique dans des effusions d’amour au kitsch assumé. Sur le ton de la confidence, elle possède surtout cet art d’installer son lecteur avec une bienveillance qui désarmerait les plus grincheux.

Du cancer du sein au féminisme

Lili Sohn n’est pas la première à ouvrir un blog de vulgarisation, ni même à aborder la question du cancer en BD, citons par exemple Betty Boob, un album sous la forme d’une comédie musicale signée par Véro Cazot et Julie Rocheleau, ou encore L’année du crabe d’Alice Baguet.

Naïf et très schématique, le style de Lili évolue, il s’anime désormais du détournement de gravures anciennes que l’artiste pioche dans une collection de vieux livres d’images libres de droit qu’elle a dégotés au Canada. Par des procédés simples, la lecture se fait entraînante. Les couleurs ajoutent la fantaisie d’une mise en page structurée méthodiquement et ponctuée par l’humour et la trivialité des dialogues. « J’aborde des sujets difficiles, des tabous, autant le cancer que le corps de la femme. Il faut faire passer la pilule avec du pétillant, du rigolo et surtout aller droit au but. » commente-t-elle.

Dans les trois tomes qui composent La guerre des tétons, on suit les opérations, les cycles de chimiothérapie et la radiothérapie, la découverte de sa double mutation génétique, l’ablation de son sein et la question des prothèses. Le miracle tient de l’impression d’une conversation presque légère et anodine sur un tel sujet.
Pourtant Lili scrute tous les effets secondaires et ne s’arrête pas aux questions médicales. Elle s’aventure sur le terrain social de l’identité alors qu’à l’aube de la trentaine, ce cancer la confronte à des problématiques intimes, ébranle ses certitudes face à sa condition de femme et l’engage sur la voie du féminisme. « Est-ce qu’on ampute ma féminité si on touche à mes seins ? » Une simple question déclenche des raisonnements en cascades que Lili transcrit dans un style synthétique, se projetant elle-même comme un objet d’études. « Avant le cancer, j’avais la conscience féministe modérée d’une femme occidentale blanche et instruite, issue d’un milieu plutôt aisé : j’étais confite dans mes privilèges. Se retrouver en position de malade m’a fait brutalement sortir de mon moule et obligée à tout remettre en perspective. J’ai pris conscience de la réalité des normes sociales à partir de ce moment-là : les injonctions sur la femme, sur son corps, les assignations sociales de la mère, de la conjointe… », témoigne-t-elle.

Une question en amenant une autre, à Marseille où elle habite désormais, à 35 ans Lili poursuit l’aventure vulgarisatrice. Après l’énergisant Vagin tonic publié l’an dernier, dans lequel elle servait un cocktail explosif sur les idées reçues autour de l’identité féminine et du corps de la femme, elle confronte, dans Mamas, son désir d’enfant et ses convictions féministes. Un livre en amenant un autre, elle planche désormais sur la question de la pilosité féminine. « Après La guerre des tétons, dans Vagin tonic, j’ai voulu construire mon opinion à partir de mes propres questionnements autour de la femme, en décortiquant les codes du genre. Je me suis mise à lire de plus en plus d’essais féministes, je continue d’ailleurs encore aujourd’hui. Pour Mamas, je me suis retrouvée après mon cancer avec une envie irrépressible d’avoir un enfant sans savoir pourquoi et en même temps j’en avais très peur. Les féministes de la deuxième vague, c’est-à-dire celle d’après les suffragettes, la génération des Simone de Beauvoir, Adrienne Rich ou encore Élisabeth Badinter ne parlent pratiquement jamais de maternité. Je suis tombée enceinte assez rapidement et je me suis vraiment retrouvée à me demander ce que je faisais. Mamas a accompagné mes questionnements », affirme-t-elle.

La maternité, ce « drôle de piège »

Cette envie « viscérale » d’avoir un bébé est venue quand on a annoncé à Lili que la chimiothérapie pouvait rendre stérile. À cette occasion, on lui a prélevé des ovocytes. « Est-ce que cette réaction est normale ? Y a-t-il d’ailleurs une norme ? », s’interroge-t-elle.

*

Dans Mamas, elle passe en revue tout ce qui approche biologiquement ou sociologiquement de la parentalité pour passer à la loupe tous les préjugés. Comme le souligne Lili, Simone de Beauvoir ne parlait-elle pas de la maternité comme d’un « drôle de piège » ? « Avec un désir d’enfant, tu te sens en porte-à-faux et à contre-courant de l’émancipation féministe. Les codes du patriarcat se resserrent dans la case mère. Si la dessinatrice Emma a déjà beaucoup parlé de charge mentale, moi, j’ai découvert en même temps que j’écrivais la charge féminine qu’on associe à la parentalité. Quand on le vit, ça prend un tout autre sens.

Au fur et à mesure, je me rendais compte des manipulations, toutes ces mises en place sociétales pour que la maternité soit exclusivement féminine, bien avant d’avoir des enfants. Un bébé se fait à deux et ce n’est pas parce qu’on est la mère qu’on a plus de capacité ou de responsabilité. Je commence donc par introduire la différence entre parent et géniteur, ce qui me conduit à explorer d’autres situations : en Islande, l’égalité du congé parentalité pour les hommes et les femmes, les possibilités pour les couples homosexuels. » De la grossesse à la GPA, tout est à repenser, selon Lili, en commençant par déconstruire cette idée reçue d’instinct maternel, selon laquelle la mère serait la personne la plus importante dans la vie d’un enfant. Elle ajoute : « Après avoir rencontré Grégory et Vincent, ce couple homosexuel aux États-Unis, et partagé leur expérience de GPA avec Wendy, je me suis vraiment dit que je pourrais porter un enfant pour quelqu’un d’autre. Pour moi, c’est plus de l’humilité que du militantisme. J’invite à penser en termes d’humain et d’amour. »

La place des autres

On peut être en désaccord avec Lili, ne pas partager ses opinions, mais ce qui fait la qualité de ses albums
et qui les rend accessibles, c’est d’abord la place qu’elle laisse toujours aux autres, ceux qu’elle rencontre pour les besoins du livre comme ses lecteurs. Elle sait toujours mettre à l’aise, en confiance, sans jamais faire la leçon.

Pour découvrir l’univers de Lili

lilisohn.com
tchaogunther.com

La guerre des tétons, trois volumes (de 2015 à 2017), éditions Michel Lafon, 224 pages et 14,95 € chaque.

Vagin tonic, éditions Casterman, 273 pages, 20 €.

Mamas, Petit précis de déconstruction de l’instinct maternel, éditions Casterman, 296 pages, 20 €.

Les planches reproduites sont extraites de l’album Mamas.

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