Le cannabis m’a aidée à supporter mon traitement anticancer

Pour mieux supporter sa chimiothérapie, Marie Borrel, journaliste et auteure de livres de santé, a utilisé, avec succès, le cannabis à des fins thérapeutiques.

Anne Dufour : Dans quel cadre avez-vous essayé le cannabis thérapeutique ? Vous en espériez quoi ?

Marie Borrel : Ma première séance de chimiothérapie a été extrêmement dure. J’ai passé 12 jours à avoir des douleurs, des insomnies terribles (à ne pas dormir une minute), des nausées et des vomissements insupportables dès le lendemain de la séance, et tous les jours suivants.

Puis au 13e jour, prise de sang pour vérifier que je pouvais passer à la deuxième séance, et rebelote la chimio, les nausées, etc. Aucun moment de repos, de répit. Je me suis dit que je n’allais pas le supporter. Les traitements prescrits par mon cancéro pour tenter de remédier à mes troubles, avec des molécules de plus en plus fortes pour dormir, contre la douleur ou les vomissements, n’ont jamais donné de résultat, sinon de m’intoxiquer encore un peu plus. Malgré les somnifères les plus puissants, je ne dormais au mieux qu’une heure d’affilée. Pourtant, j’ai tout essayé : Lysanxia, Imovane…

J’ai alors pensé au cannabis, j’ai pensé que l’on pouvait l’utiliser aussi d’une façon thérapeutique. J’ai cherché sur internet s’il y avait des interactions connues avec les molécules de ma chimio, ou des contre-indications avec mon propre cas, mais je n’ai rien trouvé de tel. En revanche, je suis tombée sur de nombreuses études cliniques probantes, réalisées en milieu hospitalier, qui m’ont décidée à tenter, espérant surtout ne plus vomir, moins souffrir et dormir un peu.

De quelle nature étaient vos douleurs ?

La chimio du cancer des ganglions immunitaires implique de tout détruire, les cellules cancéreuses, mais aussi les globules blancs qui nous défendent contre les maladies. Le lendemain de chaque séance de chimio, j’avais donc une piqûre visant à rétablir un taux de globules blancs satisfaisant afin que je ne tombe pas malade. Indispensables, ces piqûres provoquent des douleurs circulantes, permanentes, un peu comme les douleurs de croissance. On croit avoir cerné la zone pour essayer de l’isoler que la douleur est déjà ailleurs. C’est l’une des raisons pour laquelle dormir est impossible.

La chimiothérapie n’est pas connue pour être une partie de plaisir…

Et je m’y attendais. Mais j’ai dit au cancéro que je n’imaginais pas à quel point c’était pénible. Il m’a répondu que ce cancer est l’un des plus faciles à traiter (à la fin, on parle même de guérison et non de rémission), mais la contrepartie, que l’on ne dit pas au malade, c’est que le traitement est l’un des plus pénibles : les séances de chimio sont très rapprochées (tous les 15 jours et non toutes les 3 semaines, comme pour la majorité des autres cancers) et particulièrement violentes.

Comment se déroulait une journée de chimio ?

J’y étais de 8 h à 17 h, une perfusion dans le bras, avec des « poches » remplies de liquides, qui « passaient » plus ou moins rapidement, toujours dans le même ordre. Je me souviens d’une petite poche réglée sans problème en 5 minutes. Et d’une autre, aussi petite, qui réclamait 3 h. Dès les premières gouttes, nausées. Et si la poche était passée plus vite qu’en 3 heures, je crois bien que j’aurais pu « mourir de nausées » ! On supporte plus ou moins bien chacun des produits.

Et de retour chez vous, une journée à la maison ?

Allongée dans le lit, une bassine à portée de main. Impossible de me lever pour aller ne serait-ce qu’aux toilettes seule, j’avais besoin d’aide. Impossible aussi de lire, de regarder un film, et ce, jour… et nuit puisque je ne dormais pas. C’est long, ces minutes, ces heures où l’on ne peut rien faire, rien du tout. Long, douloureux, pénible. La première semaine après la chimio, les nausées sont permanentes. J’ai fait 8 séances de chimio, dont 6 ou 7 avec cannabis : à partir de là, tout cela a changé.

Avant le cannabis, avez-vous essayé d’autres soins d’accompagnement ?

Oui, l’homéopathie et les plantes. Mais en fait, pendant une période, j’étais tellement saturée de « médicaments » que le fait de prendre quoi que ce soit en plus, même des granules, me paraissait insurmontable. J’ai bien essayé, mais ça n’a rien donné, et je n’ai peut-être pas continué suffisamment longtemps pour obtenir un résultat. Mais vraiment, je n’aurais pas pu. Je m’estimais dans un tel état de délabrement et d’agression que j’avais l’impression que rien de tout cela ne marcherait. J’ai tout de même réussi à prendre une plante (le desmodium) pendant toute la durée du traitement pour protéger mon foie qui, au final, n’a pas l’air d’avoir pâti du travail colossal que lui a imposé l’élimination des molécules chimiques.

Le fait que le cannabis se fume et non se prenne en comprimé ne vous a pas gênée ?

Au contraire. Dans un contexte médicalisé, ce geste ludique avait une résonance positive, non attaché à la maladie. J’avais l’impression de faire « autre chose » que de me soigner. Et puis les nausées sont telles qu’en comprimés, je n’aurais rien gardé !

Enfin, le fait que ça ne passe pas par le tube digestif est bénéfique : la fumée « monte » plus vite au cerveau d’une part, et cela évite de charger encore le foie, déjà débordé par les résidus toxiques de la chimiothérapie. Enfin, le système digestif « trie » certaines molécules, avec le risque d’une perte d’efficacité ; même si on peut aussi manger des gâteaux au cannabis, c’est bien connu, pour ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas fumer !

Comment avez-vous fait pour vous en procurer ?

Je connais des jeunes de 20/30 ans. Je leur ai fait part de mon souhait d’obtenir un peu d’herbe « pour essayer ». Une fois en possession de cet « échantillon », j’ai préparé un tout petit joint avec un peu de tabac et d’herbe, j’ai roulé le tout dans du papier à cigarette. L’équivalent d’1/4 de cigarette. Et là, dès les premières bouffées, le miracle s’est produit : les douleurs et les nausées se sont totalement envolées, j’ai arrêté de vomir, et j’ai dormi ! Depuis cette expérience, inutile de préciser que je n’étais pas prête à arrêter pendant la durée du traitement. Je dormais, j’arrivais à manger et j’étais donc moins fatiguée, avec de meilleures défenses et un meilleur moral.

Comment l’utilisiez-vous ? À quelle posologie ?

J’ai tâtonné pour trouver la meilleure « posologie » pour moi. Le but n’était pas d’être complètement dans les vapes, mais de maintenir cet état de « non nausées », « non douleurs ». Le soir de la chimio, je prenais mon petit joint (3 ou 4 bouffées) pour pouvoir dormir. Je recommençais environ toutes les 3 heures, dès que ça ne faisait plus effet. Puis au fil où s’éloignait le jour de chimio, j’en avais besoin de moins en moins, pour ne plus finir que par un petit joint le soir au moment du coucher, pour dormir. Ce qui est surprenant, c’est l’efficacité incroyable de la chose : au moment où l’on inspire la fumée, les douleurs, les nausées se dissolvent instantanément, exactement comme un sucre dans une boisson chaude. Et puis j’étais « comme après avoir bu un petit verre » : infiniment plus sereine. En plus, le temps était distendu, Il n’avait plus la même densité, les longues journées à « attendre » passaient plus vite, en tout cas mieux. Je redormais, je remangeais, je n’avais plus mal, ni de nausées, et j’arrivais à faire de vrais repas quelques jours avant ma reprise de chimio. Je reprenais des forces. Ça m’a changé la vie.

Vous le conseillez aux patients suivant une chimio ?

Je ne conseille rien, je ne suis ni médecin, ni thérapeute. Mais je veux témoigner, car je trouve révoltant que l’hôpital ne propose rien de réellement efficace à toutes les personnes en souffrance qui traversent une chimio difficile, violente, douloureuse. On leur refuse l’accès à une thérapeutique simple, efficace et naturelle, alors qu’on leur fait ingurgiter des dizaines de molécules chimiques inefficaces. Je crois sincèrement que ce n’est pas pire de fumer un tout petit peu de cannabis ! Sur quels critères, autres que idéologiques ou économiques, interdit-on cela en France ? J’ai parlé à tout le monde, à l’hôpital, de mon expérience : cancérologues, autres médecins, infirmières, aides-soignants… : pas UN ne m’a dit d’arrêter. En gros, ils traitent ton cancer, le reste c’est ton affaire, et « si ça peut vous faire du bien, Madame, allez-y ».

Avez-vous eu peur de l’utiliser du fait de son statut de « drogue » ? Par exemple, avez-vous eu peur d’en devenir dépendante ?

J’avais tellement besoin de me sentir mieux qu’un éventuel risque d’accoutumance me semblait au pire un détail, au mieux inexistant. D’ailleurs, maintenant que tout cela est derrière moi, je ne fume plus du tout, je n’en ai plus besoin. La situation n’a rien à voir avec celle d’un fumeur dans un but non thérapeutique. On nous donne des drogues autrement plus fortes et addictives à l’hôpital, comme la morphine. Le risque de devenir dépendant est le dernier des soucis du cancéreux qui essaie juste de supporter son traitement. Sans parler des cocktails de médicaments prescrits pour essayer de pallier les effets secondaires des chimio, comme on me l’a fait à moi, et dont personne ne sait réellement comment ils se comportent dans l’organisme. Tout cela comparé à finalement quelque chose de naturel, de simple, d’efficace, comme le cannabis !

Lorsque vous voyez des jeunes fumer des joints, vous vous dites quoi ?

Que c’est un vrai danger pour eux. Que l’on soit bien clair : je suis pour le cannabis thérapeutique, à l’hôpital, dans un cadre de soins très précis. Certainement pas pour sa dépénalisation généralisée, ni pour minimiser ses effets sur de « jeunes cerveaux » : un ado de 15 ans qui a besoin de son joint chaque matin pour aller à l’école, c’est grave. Non seulement pour la construction de son cerveau, mais en plus parce qu’il met un écran de fumée entre lui et le monde car il n’a pas le courage d’y faire face, pour devenir adulte. C’est préoccupant. Je n’en étais évidemment pas là avec ma chimio, j’étais sur un tout autre registre.

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