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La santé naturelle avec Sophie Lacoste

Après l’estomac, suite de la digestion

La petite rubrique d'anatomie

La dernière fois, nous avons vu comment transformer de la nourriture mâchouillée en bouillie acide. Dans cette rubrique, le bol alimentaire a quitté l’estomac et poursuit son chemin. Nous verrons en quoi il évolue (et comment) au cours de son périple dans les intestins.

Après avoir passé la valve du pylore, le bol alimentaire, alors transformé en chyme, cette substance mélangeant nourriture, eau, enzymes et acides, entre dans l’intestin grêle.

Le début de l’intestin grêle s’appelle le duodénum. Il doit son nom à sa taille : environ douze doigts de long. Mais les doigts pris dans leur largeur (en gros, il fait une longueur équivalente à la largeur de douze doigts). Au contact de la nourriture, les cellules de la paroi interne du duodénum sécrètent une hormone qui déclenche la suite des opérations, la cholécystokinine.

Les humeurs

Pendant longtemps, de l’Antiquité (notamment chez Hippocrate) jusqu’au XIXe siècle, la médecine occidentale considérait que les troubles de santé provenaient d’un déséquilibre de quatre liquides (aussi appelés humeurs, le sens propre de ce mot signifiant à l’origine “liquide organique” ; on le retrouve dans les humeurs vitrées et aqueuses de nos yeux). Ces quatre liquides correspondaient chacun à l’un des quatre éléments que l’on pensait constitutifs du monde : le feu, l’eau, l’air et
la terre. De même, chaque élément était la composition de deux caractéristiques, la température et l’humidité. Le feu était bien évidemment sec et chaud, l’eau, froide et humide, l’air était chaud et humide, et la terre, froide et sèche. La bile, c’est le feu, le sang, c’est l’air, le flegme ou lymphe, c’est l’eau et la bile noire (ou atrabile), la terre. Tandis que la bile (jaune) et le sang sont des liquides bien présents dans notre corps (encore aujourd’hui !), la bile noire (qui serait sécrétée par la rate) et le flegme, aussi appelé lymphe ou pituite, (produit, lui, par le cerveau, et parfois assimilé à la morve) n’ont pas d’équivalent dans le monde réel.

D’après cette théorie, l’excès de bile rend coléreux, l’excès de sang rend joyeux, l’excès de bile noire rend anxieux et mélancolique (de “mélas” noire et, “kholé” la bile) et l’excès de flegme rend mou, apathique. On pratique alors des saignées, on prend des purgatifs, des substances cholagogues (qui permettent d’évacuer la bile du foie) ou des diurétiques pour rétablir ces équilibres. Les résultats sont ce qu’ils sont : des fois, ça marche, des fois, ça marche pas.

Bien sûr, tout ceci n’a plus vraiment de sens à l’heure actuelle. Les progrès de la médecine ont balayé toutes ces hypothèses. La théorie des humeurs est à peu près aussi fiable et pertinente que les maisons d’Harry Potter. Mais il est toujours intéressant de comprendre comment nos ancêtres ont pensé la médecine pendant si longtemps, à tel point que notre vocabulaire est encore, à l’heure actuelle, empli de cette vision du monde : la colère (de “kholé”, la bile), un comportement sanguin, se faire de la bile (qui viendrait de cette énigmatique bile noire), atrabilaire ou mélancolique, flegmatique, lymphatique, décharger sa bile, le spleen (la “rate” en anglais, terme popularisé par Baudelaire et son Spleen de Paris)…

Pourtant, le rapport entre santé mentale et santé physiologique était plutôt bien vu, et, dans leurs tâtonnements, les chercheurs et praticiens ont quand même permis des avancées et des découvertes en anatomie, en médecine, et mis au point des soins qui, même si leurs explications étaient fantaisistes, ont pu sauver de nombreuses vies.

Déclenchement des opérations suivantes

Stimulé par la cholécystokinine, le foie intensififie sa production de bile. Ce liquide tirant sur le jaune verdâtre est produit en permanence par le foie qui, par un astucieux système de retour de tuyau, peut la stocker dans la vésicule biliaire afin de la conserver tout en la concentrant. Le canal qui permet au foie d’alimenter le duodénum en bile est le canal cholédoque (“doque” signifie qui conduit et “kholé” la bile). Il est relié, à la fin du canal du pancréas, à l’ampoule hépatopancréatique qui, elle-même, est reliée au duodénum par le sphincter d’Oddi.

Le foie comme le pancréas sont des glandes amphicrines. C’est-à-dire qu’elles sont à la fois endocrines et exocrines, endocrines parce qu’elles sécrètent des substances directement dans le sang (ça ne nous intéresse pas pour le moment, mais on verra sans doute ça dans un autre épisode) et exocrines parce qu’elles en sécrètent d’autres qui sontenvoyées à l’extérieur de notre milieu biologique, ici dans la lumière de notre système digestif. Je ne l’ai peut-être pas assez mentionné le mois dernier (dans un dessin, tout au plus) mais le “vide” à l’intérieur de la muqueuse du tube digestif s’appelle la lumière.

Dans le duodénum

Dans la lumière du duodénum, le chyme est donc mélangé à la bile et aux sucs pancréatiques qui s’échappent par le sphincter d’Oddi, dont le relâchement est provoqué par la cholécystokinine. Cette dernière déclenche aussi la contraction de la vésicule biliaire afin qu’elle expulse sa bile concentrée dans le canal cholédoque. La bile est composée d’eau, d’acides, d’électrolytes, de cholestérol et de bilirubine, une molécule produite par la dégradation des globules rouges, puis évacuée par le foie dans la bile. C’est un pigment jaune qui devient marron en s’oxydant et donne à nos excréments leur couleur. Si le foie a du mal à l’éliminer, le pigment peut s’accumuler dans notre corps et déclencher une jaunisse. Souvent, la mauvaise évacuation de bilirubine est liée à des calculs biliaires, sortes de bouchons dans les voies biliaires ou la vésicule elle-même, créés par une accumulation de cholestérol, voire de bilirubine elle-même.

La bile est très légèrement alcaline, mais elle contient des acides, les acides biliaires, qui réduisent les graisses du chyme à l’état de minuscules gouttelettes. C’est le même procédé que pour le savon ou la mayonnaise : des molécules, avec un côté hydrophobe et lipophile et un autre côté hydrophile et lipophobe, encerclent les graisses et les maintiennent dans un milieu aqueux. Autrement dit, c’est une émulsion. Ces acides, ou sels biliaires (selon l’acidité de la bile), sont sécrétés à partir du cholestérol.

L’acidité du chyme est surtout neutralisée par les bicarbonates présents dans les sucs pancréatiques. Ces sucs contiennent aussi des enzymes qui permettent au corps d’absorber les sucres, les protéines et les graisses, rendues plus vulnérables par les acides biliaires qui en ont fait des petites micelles (tout petits groupes de cellules). Les enzymes hydrolysent ces molécules, c’est-à-dire qu’au contact de l’eau, elles les séparent en de plus petites molécules encore, plus facilement assimilables par notre corps.

La bile a tout un vocabulaire dédié à son étude avec des mots dérivés de “kholé” : 
Cholérèse : excrétion de la bile par le foie
Cholérétique : qui stimule la production de bile
Cholestase : diminution ou interruption de la cholérèse
Cholestérol : lipide présent dans la bile
Cholécystokinine : hormone qui stimule la production de bile et de sucs pancréatiques 
Cholédoque : qui conduit la bile
Cholagogue : qui stimule l’évacuation de la bile des voies biliaires
Colargol : ours qui chante en fa, en sol

Dans l’intestin grêle

La nourriture en digestion poursuit sa route dans l’intestin grêle, et parcourt le jéjunum et l’iléum. Tout le long du tube digestif, les muqueuses ne sont pas les beaux tuyaux tout lisses que l’on voit dans nos livres d’anatomie (et sur mes dessins, mea culpa, mais c’est difficile de dessiner autrement) : ils sont tout fripés, pleins de plis appelés villosités. La surface d’échange avec les vaisseaux sanguins est démultipliée. Si bien que ce petit intestin (qui mesure quand même six mètres) pourrait couvrir, si on le dépliait et qu’on le repassait, environ 250 m2. Parcourues de kilomètres de minuscules vaisseaux chylifères et capillaires sanguins, les parois des villosités sont assez poreuses pour laisser passer les nutriments dans le sang et les lipides dans les chylifères. Ces derniers les conduisent dans le système lymphatique qui s’occupera de les diffuser ou non dans le sang selon les besoins.

Une partie des sucs biliaires est récupérée et renvoyée vers le foie qui la recycle de façon très écoresponsable.

Puis le gros intestin

L’iléum débouche sur un intestin moins grêle que celui dont il fait partie : le côlon. Un sphincter, la valvule iléocæcale, ne s’ouvre qu’au passage de la nourriture et en fait une voie unique (mais pas sans issue).

À mesure que l’on approche de la fin du système digestif, les sucs sont moins présents et laissent de plus en plus la place à une autre alliée : notre flore intestinale. Elle est composée, non pas de muguet et de laurier-rose (et c’est tant mieux parce que, sinon, on mourrait), mais de dix mille milliards (10 000 000 000 000) de micro-organismes (aussi nombreux que nos propres cellules) qui dégradent la nourriture pour nous, surtout les fibres et les végétaux. Nous avons évolué en symbiose avec ces micro-organismes qui nous aident à récupérer les derniers nutriments que la nourriture a à nous offrir.

Le début du côlon, le cæcum, est une sorte de sac qui sert de refuge à une partie de cette flore. Chez les animaux herbivores, le cæcum est très développé alors que chez les carnivores, il est atrophié ou inexistant. D’un côté, il conduit à la suite du côlon, de l’autre à un cul-de-sac bien connu pour sa capacité à s’infecter : l’appendice. Le rôle de l’appendice est encore très débattu : réservoir à flore intestinale, organe vestigial, réserve immunitaire… Toujours est-il que son infection nécessite souvent son ablation, car l’appendice infecté peut finir par rompre et laisser suppurer les bactéries du côlon dans le reste de l’organisme, infectant le péritoine, cette membrane qui emballe les organes dans notre abdomen, ce qui peut conduire à une dangereuse septicémie (infection généralisée). Ayant récemment fait l’expérience de l’appendicectomie, je peux vous dire que l’utilité principale de l’appendice est de vous octroyer un mois d’arrêt de travail et une bonne excuse pour ne pas porter des cartons.

Les pets

L’odeur des pets vient de leur composition. Bien qu’ils soient à majorité composés de gaz inodores, comme l’azote, l’oxygène, le dioxyde de carbone et le méthane (car oui : le méthane est inodore), les pets comptent un peu de sulfure d’hydrogène, un gaz qui sent l’œuf pourri. Il y a aussi quelques substances volatiles, comme le scatole et l’indole qui, en faible quantité, peuvent être utilisées en parfumerie pour leur aspect floral (on les retrouve dans certaines fleurs blanches : fleur d’oranger, jasmin…), mais qui donnent, avec les molécules sulfurées – dont le sulfure d’hydrogène – cette odeur à nos flatulences et nos excréments.

Le bruit que fait un pet n’a pas de lien avec sa composition. Résultat de la vibration des muscles sphincters de l’anus au moment de son évasion, la sonorité du coup de tonnerre dépend de l’état de contraction de l’anus.
Les crottes

La couleur des selles vient principalement de la bilirubine, issue de la dégradation de l’hémoglobine. Mais elle peut changer et nous donner des indices sur notre état de santé. Si les excréments sont rouges, c’est qu’il y a du sang non digéré ou qu’on a mangé des betteraves. Dans le premier cas, il est conseillé de consulter. Si elles sont noires, c’est qu’il y a du sang digéré. Cela peut aussi être lié à une prise de fer. Si les selles sont blanchâtres ou grises, il y a peut-être des soucis au niveau de la bile, un calcul par exemple. Pareil, si elles sont jaunes, trop de graisses n’ont pas été digérées, le pancréas ou le foie n’ont pas bien fait leur boulot. Si elles sont vertes, ce n’est pas très grave, c’est que la flore intestinale n’a pas eu le temps de bien les dégrader dans votre côlon. Si elles sont bleues, c’est que vous êtes Gargamel et que vous avez enfin réussi à manger ces satanés Schtroumpfs, bravo.

La consistance des excréments aussi est importante. Elle doit être molle mais pas collante. Liquide (diarrhée), c’est qu’il y a trop d’eau dans les selles, signe d’un désordre médical à soigner et à compenser en s’hydratant. Dure comme de petites pierres, c’est un signe de constipation (les selles progressent trop lentement dans le côlon). Dans la plupart des cas, il faut manger plus de fibres et s’hydrater pour améliorer la situation. Les morceaux de nourriture non digérés ne sont pas inquiétants s’il y en a peu, ça arrive, c’est qu’ils ont été mal digérés par les sucs gastriques et/ ou que la digestion s’est faite trop rapidement (et assurément que vous n’avez pas correctement mâché). Si, par contre, il y a des morceaux de ténia, c’est que vous n’êtes pas tout seul à digérer votre nourriture.

Le côlon récupère l’eau de la nourriture, qui devient par conséquent de plus en plus solide. C’est aussi le dernier moment pour certains nutriments qui peuvent être assimilés avant d’arriver au terminus, comme la vitamine K. Le contact avec la flore intestinale décompose le bol alimentaire devenu “chyle”, qui se transforme peu à peu en étrons, et génère des gaz, qu’il est préférable pour la santé de laisser s’échapper, bien que ça ne soit pas très poli.

Et enfin, le rectum

Après le côlon, les selles, appelées fèces, atteignent la deuxième partie du gros intestin : le rectum. C’est la dernière étape avant la porte de sortie. C’est là que les excréments s’accumulent avant de sortir par le canal anal, cerné de muscles dont deux sphincters : le sphincter anal interne et le sphincter anal externe. Et c’est finalement par l’anus, cet orifice compris au sein du sphincter anal externe que notre corps expulse le sujet de la présente rubrique.

Et voilà comment, en seulement 24 heures environ, on peut transformer un délicieux bœuf bourguignon en excrément.

Notre grand voyage digestif touche à sa fin, j’espère que les passages les moins ragoûtants ne vous ont pas trop dégoûtés. Rassurez-vous, dans la prochaine rubrique, nous ne parlerons pas de caca. Nous parlerons de pipi.


Et pas que : tout ce qui passe par le cæcum peut se retrouver coincé dans l’appendice, les métaux lourds, par exemple.

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